jeudi 28 février 2013

LA "ROSE-CROIX"


La Rose-Croix est un ordre hermétiste chrétien légendaire dont les premières mentions remontent au début du XVIIe siècle en Allemagne. L'existence de l'ordre, et celle de son fondateur Christian Rosenkreutz, sont sujettes à controverse.

Quoi qu'il en soit, à partir du XVIIIe siècle et jusqu'à aujourd'hui, de nombreux mouvements se sont réclamés de l'ordre de la Rose-Croix, ou se sont référés à la "tradition rosicrucienne" ou à l'"héritage de Christian Rose-Croix".

Leurs membres sont appelés les rosicruciens. Le terme « Rose-Croix » désigne, dans leur langage, un état de perfection spirituelle et morale.

Comme archétype de société secrète, immémoriale et toute-puissante, les rose-croix apparaissent dans la littérature ésotérisante, souvent comme successeurs des chevaliers du Graal et des Templiers.

À l'origine d'un mythe : les manifestes rose-croix...

Introduction

Les « Manifestes Rose-Croix », la "Fama Fraternitatis" et la "Confessio Fraternitatis", furent publiés en Allemagne en 1614 et en 1615 et firent pour la première fois mention de cette fraternité en une période de tensions politiques et religieuses, et d'avancées scientifiques. On leur associe généralement un autre texte : Les Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz publié en 1616.

La Fama Fraternitatis (1614)

En 1614 paraît à Cassel, à l'imprimerie de Wilhelm Wessel, un document anonyme en allemand : Réforme générale et universelle du monde entier. Contenant la Fama Fraternitatis de l'illustre Ordre de la Rose-Croix [...].

Cette « réforme générale » est un récit satirique sur les projets de réforme qui fleurissaient à l'époque. En appendice, on trouve un "manifeste" : la "Fama Fraternitatis" ou "Fraternité de l'illustre ordre de la R.C".

Le nom du fondateur (C.R.C.), ainsi que ceux des membres de la fraternité ne sont mentionnés que par leurs initiales.

La "Fama Fraternitatis" narre la vie du fondateur mythique de l'ordre. Allemand, orphelin d'une famille noble mais désargentée, il est élevé et éduqué dans un couvent. Un périple entrepris autour de la Méditerranée lui permet d'acquérir les sagesses et les connaissances de l'Orient et de les confronter à celles de l'Occident.

À son retour, il s'entretient avec les savants d'Europe « leur montrant les erreurs de nos Arts, comment les corriger, d'où l'on pourrait tirer des indices certains sur les siècles suivants et en quoi ils devaient concorder avec les siècles passés ; aussi comment réformer les défauts de l'Église et toute la philosophie morale ». Mais ces derniers, se voyant contraints de se remettre en question et craignant que leur réputation n'en souffre, le rejettent.

Il fonde alors en Allemagne un cloître appelé "maison du Saint-Esprit", afin d'y rassembler et conserver ses connaissances, et invite, afin de les consigner, trois de ses anciens condisciples qui lui jurent fidélité et silence : « Ainsi commença la Fraternité de la Rose-Croix, avec quatre personnes seulement ». L'ordre se donne une règle, et se disperse à travers le monde.

L'histoire relate que 120 ans après la mort du fondateur de l'ordre, les Frères de la troisième génération, refaisant en "bons architectes" la maçonnerie de leur "maison", redécouvrent son tombeau. L'inscription "Post 120 annos patebo" ("après 120 ans, je m'ouvrirai") indique que cette découverte apparemment fortuite avait été prévue.

Dans ce « temple-tombe », illuminé « par un autre soleil », se trouve le corps intact de C. R.C. tenant dans ses mains un petit livre d'or, intituléLivre T.. L'autel circulaire est entouré de formules de sagesse et d'axiomes comme "Nequaquam vacuum" ("nulle part n'est le vide" en latin) ». 

Les frères décident alors de révéler au monde cette sagesse chrétienne censée réconcilier les connaissances du passé et celles de l'avenir, et proposer une réforme universelle des sciences, de l'art et de la religion. Ils expliqueront les 37 raisons de cette décision dans une "Confessio", et promettent plus d'or « que le roi d'Espagne n'en peut rapporter des deux Indes ». La "Fama Fraternitatis", qui devait être écrite en cinq langues, invite les sages, savants et chefs de l’Europe intéressés par cette offre à se faire connaître de quelque manière "et en quelque langue que ce soit".

La Fama s'achève par la phrase : « Sub umbra alarum tuarum Jehova » (À l'ombre de tes ailes Jéhovah).

L'ouvrage se termine par la Courte réponse faite par Adam Haselmayer qui, pour cela, a été arrêté et emprisonné par les Jésuites et mis aux fers sur les galères.

Bien que la « Fama » fût en général publiée seule par la suite, l'ensemble de l'ouvrage original ("Reformatio", "Fama" et la "Réponse de Haselmayer") forme un tout, dont le sens général est que la vraie réforme ne peut se faire de l'extérieur comme le promouvaient penseurs et législateurs, mais qu'elle doit être intérieure, spirituelle et mystique.

La Confessio Fraternitatis (1615)

En 1615, une seconde édition de la Fama paraît chez le même éditeur. Il y est joint un second texte, en versions latine et allemande (d'ailleurs sensiblement différentes) : « Confessio Fraternitatis Rosae Crucis. Ad eruditos Europae. » (« Confession de la Fraternité de la R. C. Aux savants de l'Europe »).

Cette "Confession" (ou profession de foi), où s'expriment les frères de la Rose-Croix, fait référence à la Fama, et renouvelle son appel aux savants, mais aussi aux humbles, et ses promesses de réforme chrétienne universelle et de révélation des secrets de la Nature. Dans la forme elle s'inspire de la Confession d'Augsbourg. Plus que la Fama, elle met l'accent sur le millénarisme et l'antipapisme.

Les frères se défendent des accusations d'hérésie :

« Comment pourrions-nous être jamais soupçonnés d'hérésie, de menées et de complots coupables contre l'autorité civile, quand nous condamnons les sacrilèges dont Notre-Seigneur Jésus-Christ est l'objet, et dont l'Orient comme l'Occident se rendent coupables (entendons Mahomet et le pape), et quand nous présentons au chef suprême de l'Empire romain notre prière, nos mystères et nos trésors ? »

Ils font l'éloge de la Bible et de la vie évangélique :

« Contre eux, nous professons et témoignons publiquement qu'il n'a pas existé depuis les débuts de ce monde de livre supérieur, de livre meilleur, de livre aussi merveilleux, aussi salutaire que justement la sainte Bible. Et bienheureux son détenteur, bienheureux plus encore son lecteur assidu, au comble de la félicité celui qui en a épuisé l'étude. Qui sait la comprendre ne peut être plus près de Dieu ni plus semblable à lui. »

Le prénom du fondateur de la fraternité apparaît : Christian R.-C. Il serait né en 1378 et aurait vécu cent six ans. La Confessio Fraternitatis propose une philosophie chrétienne, et aussi un état de vie merveilleux qui "figurait à l'origine du monde avec Adam" accessible à l'homme régénéré. 

La Confessio annonce la fin du mahométisme et du catholicisme, et la venue d'une nouvelle ère liée à l'avènement d'une mystérieuse quatrième monarchie et à l'apparition de signes, d'étoiles dans les constellations du Serpentaire et du Cygne.

Les frères disposent d'une "écriture magique", semblable à la langue originelle des patriarches bibliques Adam et Hénoch, qui leur permet de lire et de comprendre la volonté divine.

La Confessio évoque l'alchimie en tant que force guérissante, capable certes d'opérer la transmutation des métaux (ce qu'ils ne prisent pas), mais surtout comme "remède suprême" pour la libération de l'humanité :

« Maintenant, il est nécessaire que cède toute erreur, ténèbre et servitude qui se sont progressivement emparées des sciences, des œuvres et du gouvernement des humains... de sorte que la majorité des hommes se sont obscurcis... Il n'est cependant d'autre philosophie pour nous que Celle qui est la Couronne de toutes les facultés, sciences et arts. En ce qui concerne notre siècle elle comprend surtout la Théologie, la Médecine, et avant tout la Science du Droit; c'est une philosophie qui sonde le ciel et la terre à l'aide d'un excellent art d'analyse ou qui, en un mot exprime essentiellement que l'homme est un microcosme, et l'étendue de son art dans la nature. »

Les Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz (1616)


En 1616 paraît à Strasbourg chez Lazare Zetzner, sans nom d'auteur et en allemand,  « Les Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz » . Si ce texte, plus long que les deux manifestes  « Fama et Confessio », et dont la qualité littéraire est largement reconnue, est aujourd'hui celui qui retient le plus l'attention tant des ésotéristes que des historiens, il n'eut à l'époque que peu d'influence : jamais traduit en latin, il ne le fut en anglais qu'en 1690, et en français qu'en 1928.

Ce texte allégorique et mystique narre, à la première personne, l'expérience initiatique de Christian Rosenkreutz, nom symbolique qui peut se traduire par « le chrétien à la Rose et à la Croix » ; les rosicruciens francophones le nomment « Christian Rose-Croix ». L'action se situe en 1459. Au cours de sept journées, pleines d'évènements merveilleux et symboliques, Christian Rosenkreutz participe aux noces alchimiques du roi et de la reine, qui culminent avec la décollation et la résurrection du couple royal.

L'avertissement introductif indique le caractère ésotérique de l'œuvre :

« Les arcanes s'avilissent quand ils sont révélés ; et, profanés, ils perdent leur grâce. Ne jette donc pas de marguerites aux pourceaux, et ne fais point à un âne une litière de roses. »

L'alchimie, dans « Les Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz »  comme dans les autres "manifestes", est considérée comme un processus de régénération spirituelle et une source de purification et de renaissance intérieure.

Analyse des manifestes Rose-Croix...

Hypothèses sur les auteurs des manifestes et leurs motivations

Johann Valentin Andreae a publié « Les Noces Chymiques » de Christian Rosenkreutz en 1616.

Depuis leur parution anonyme, de nombreuses hypothèses ont été faites sur l'identité du ou des auteurs des manifestes, ainsi que sur leurs motivations et leurs desseins.

En ce qui concerne « Les Noces Chymiques »  Johann Valentin Andreae (1586-1654) déclarera dans son Autobiographie, qui ne fut publiée qu'en 1799, en avoir été l'auteur dans sa jeunesse (entre 1602 et 1604). Il s'agissait d'« une plaisanterie (ludibrium)) pleine de scènes d'aventures. À (ma) surprise ce livre fut apprécié par certains et expliqué par des interprétations subtiles, quoique ce ne soit qu'une petite œuvre insignifiante et qu'il représente les vains efforts de la curiosité ».

Inspecteur ecclésiastique, chargé de fonctions diplomatiques puis prédicateur de la cour de Stuttgart, Andreae fut aussi connu pour ses écrits satiriques qu'il justifiera ainsi : « C'est l'affaire du Christianisme qui me tenait à cœur et je voulais le faire progresser par tous les moyens ; et comme je ne pouvais le faire par des chemins rectilignes, je tentai de la faire par des détours et des pitreries, non point, comme il a semblé à certains, avec un esprit de raillerie mais en recourant à la manière dont usent beaucoup de gens pieux, en ce sens que par le truchement d'une plaisanterie et par une charmante malice, je poursuivais un but sérieux et j'insufflais l'amour du christianisme. »

Le ou les auteurs des manifestes ne sont pas connus avec certitude. L'analyse stylistique et thématique des différents textes (« Fama et Confessio » mais aussi leurs préfaces, la "Reformatio" et la « Réponse de Haselmayer »), tend à montrer qu'il s'agit de l'œuvre de plusieurs auteurs.

Il semble probable que ces textes ont été écrits au sein d'un groupe d'intellectuels luthériens, rassemblés à partir de 1607 avec Andreae sous la houlette du théologien Johann Arndt (1555–1621). Ce groupe, qu'on appelle Cénacle de Tübingen, promouvait notamment l'imitation de la vie de Jésus-Christ.

Si Andreae eut sans doute un rôle inspirateur et central, on trouve également la marque de ses amis, en particulier Wilhelm Wense, Tobias Hess et Christoph Besold (1577-1638). Ainsi un groupe de jeunes luthériens allemands, qui avait eu maille à partir avec les autorités universitaires « s'est dressé clandestinement contre l'orthodoxie desséchante à laquelle il a opposé tout à la fois la mysticité antique et médiévale, l'esprit scientifique naissant et l'œuvre sociale enseignée notamment par Campanella, avec ses études et sa "Cité du Soleil" socio-théocratique. »

La publication des manifestes : le rôle d’Adam Haselmayer

La "Fama" semble avoir été rédigé vers 1608 et avoir rapidement circulé sous forme manuscrite (quatre exemplaires originaux ont aujourd'hui été retrouvés) dans les milieux alchimiques : en 1611 le médecin danois Ole Worm en avait reçu une copie, probablement de la part de Johann Hartmann, qui tenait la première chaire de « Chymie » d'Europe, à l'université de Marbourg.

Mais c'est Adam Haselmayer, l'auteur d'une réponse à la Fama publiée en même temps qu'elle, qui joua un rôle déterminant dans la publication des manifestes. Donné dans la préface comme secrétaire de l'archiduc Maximilien, il a longtemps été considéré comme un personnage fictif. Des recherches récentes ont permis de retrouver sa trace. Il s'agit d'un paracelsien du Tyrol.

Ayant lu la Fama dès 1610, il en offrit en 1612 une copie qu'il tenait de Tobias Hess à son protecteur Auguste d'Anhalt-Plötzkau, féru d'alchimie et des textes de Paracelse et de Valentin Weigel dans l'espoir que ce dernier devint le leader politique de la réforme universelle annoncée par les Rose-Croix.

Ce fut sans succès, car Auguste de Anhalt qui avait renoncé à toute ambition politique en laissant le gouvernement de la principauté d'Anhalt à son frère, se contenta de faire imprimer secrètement une centaine d'exemplaires de la réponse de Haselmayer, dans l'espoir de susciter la réaction des Rose-Croix.

L'enthousiasme de Haselmayer se tourna alors vers son suzerain le catholique archiduc Maximilien III d'Autriche, qui cependant le fit arrêter et envoyer aux galères.

On a retrouvé une version de ce texte imprimée en 1612, et il s'agirait donc de la première "réponse" à l'appel de la Fama. Haselmayer déclare avoir lu un manuscrit de la « Famaen » 1610 (ce qui permet de supposer que le texte circulait quelques années avant sa publication en 1614). Dans ce texte apocalyptique et mystique, il voit dans les frères de la Rose-Croix des disciples de Paracelse, et annonce l'imminence de la fin du monde et l'avènement de l'empire du Saint-Esprit (règne dénommé "Quatrième Monarchie" dans la Fama).

Les sources et les références

Tant par le style que par le fond, les manifestes sont caractéristiques de la pensée de l'époque, au tournant de la Renaissance et de l'âge baroque. Ils puisent leur inspiration, comme la multitude d'écrits alchimiques qui fleurissent alors, dans le fond séculaire de la littérature mystique et hermétique. Ainsi on peut y trouver des références et allusions au néo-platonisme, aux pythagoriciens, à la philosophie arabe, à la kabbale, à la Gnose, et même aux sages de l'Inde.

Paul Arnold a remarqué que les Noces Chymiques sont inspirées par le Livre I du poème « The Faerie Queene » (1590) d’Edmund Spenser. En particulier, on y trouve les aventures similaires d'un « Chevalier de la Croix-Rouge », qui deviendra le « Frère de la Rose-Croix rouge » dans les « Noces Chymiques », avec le glissement en allemand de Rotes-Kreutz à Rosen-Kreutz. Andreae a pu aussi s'inspirer de son blason familial qui comprenait quatre roses rouges entre les branches d'une croix rouge, blason lui-même peut-être inspiré des armes de Luther, représentant une croix noire sur un cœur rouge entouré d'une rose blanche.

Sceau de Luther
La « General reformatio », est en fait l'adaptation en allemand de l'avis LXXVII d'un ouvrage satirique de Trajano Boccalini : « Ragguagli di Parnasso » (« Nouvelles du Parnasse »), publié à Venise en 1612. Cet ouvrage eut un grand succès à l'époque et était connu des membres du cénacle de Tübingen et en particulier de Christoph Besold.

Les textes de la Fama et de la Confessio sont probablement inspirés de l'utopie de Tommaso Campanella : « La cité du soleil ». Parmi les contemporains allemands, on y trouve l'influence d'écrits alchimiques tels que l’« Amphitheatrum Sapientiae Aeternae »  (1595) de Heinrich Khunrath (~1560-1605) et la « Naometria »  (1604) de Simon Studion  (1543-1605).

Le personnage de Christian Rosenkreutz ferait référence aux vies de Joachim de Flore, de Thomas a Kempis, ainsi que d'un certain Aegidius Gutman (1490-1584) dont la biographie touche à la légende.

Controverses sur l'existence et l'origine de l'Ordre

Il n'existe aucune preuve historique de l'existence d'un Ordre de la Rose-Croix avant ou au moment de la parution des manifestes, au début du XVIIe siècle ; Les mouvements qui se sont par la suite baptisés "Rose-Croix" n'ont pas le moindre lien de filiation directe avec le groupe des auteurs des manifestes (le cénacle de Tübingen). La société rosicrucienne "AMORC" (fondée en 1917) est la seule à avoir revendiqué le titre d'Ordre "authentique" de la Rose-Croix.

Les opinions sur l'existence et l'origine de l'ordre peuvent schématiquement être classées en quatre catégories différentes :

Pour les universitaires Yates, Arnold, Edighoffer, Faivre (« Bien que, de 1615 à l’époque actuelle, quantité de faussaires n’aient cessé de brouiller les pistes, on peut affirmer qu’entre 1614 et 1620 il n’existe pas de "Fraternité Rose-Croix", à moins d’entendre par là qu’une amitié spirituelle rapprochait les amis du cénacle »), Christian Rosenkreutz et l'ordre de la Rose-Croix sont des fictions inventées par les auteurs des manifestes, et ces textes relevaient à l'origine du "ludibrium" (c’est-à-dire du "jeu", de la "plaisanterie") ésotérique d'un jeune luthérien malicieux et cultivé, Johann Valentin Andreae.

Les manifestes de la Rose-Croix ne seraient pas une preuve de son existence mais seulement la narration de son mythe. Ils auraient pris rapidement une dimension polémique dans l'âpre contexte de la Réforme.

Les affiches parues à Paris en 1623 ne seraient quant à elles qu'un canular. Les idées développées dans les manifestes n'ayant rien de particulièrement original ni de spécifique, leur succès non démenti tient à leur qualité littéraire, à leur parfum de secret et de mystère, et à l'association, puissamment évocatrice dans la culture occidentale, des noms et symboles de la rose et de la croix.

Ceux qui, tout en croyant à l'existence d'une fraternité de la "Rose-Croix", estiment que les détails historiques fournis dans les manifestes sont à prendre au moins en partie dans un sens symbolique. L'ordre aurait été constitué du regroupement d'esprits brillants autour de Johann Valentin Andreae.

La Rose-Croix exprimerait les aspirations spirituelles et profondes qui imprègnent encore aujourd'hui l'imaginaire de l’Occident.

D'autres tenants de l'interprétation symbolique des manifestes croient à une existence ancienne voire antique de l'ordre. C'est ainsi que plusieurs auteurs rosicruciens du XXe siècle, parmi lesquels Harvey Spencer Lewis, le fondateur de l'AMORC, s'autorisant principalement d'"archives secrètes" ou d'"archives akhashiques" consultables uniquement au moyen de différentes techniques de méditation, ont affirmé que l'ordre de la Rose-Croix avait une origine égyptienne, voire atlante.

Certains enfin ont réinterrogé avec Serge Hutin le concept d'ordre initiatique en y voyant un courant de pensée – organisé par des principes et fondé sur la reconnaissance tacite entre ses contributeurs de leurs autorités morales respectives – plutôt qu'une organisation secrète hiérarchisée de manière formelle.

Les réactions au XVIIe siècle...


Un retentissement considérable

Les manifestes Rose-Croix eurent très vite un retentissement considérable. Il y eut rapidement plusieurs rééditions. Leur appel (et surtout les références à Paracelse) fut reçu par nombre de « chymistes » d'Allemagne, et aussi d'Europe. La Bibliotheca Hermetica Philosophica d'Amsterdam a recensé 400 réponses imprimées dans les dix années qui suivirent leur parution et environ 1 700 entre les XVIIe et XVIIIe siècles.

Pour Carlos Gilly : « le succès des manifestes Rosé-Croix tenait non seulement à leur habillage mythique (sans lequel ils n'auraient suscité que fort peu d'intérêt), mais aussi et surtout à l'idée d'avoir présenté la Fraternité comme déjà constituée, et au fait d'avoir invité les savants et les princes d'alors à y donner réponse par la voie de l'imprimé ».

Des polémiques ne tardèrent pas à naître. Les rose-croix furent accusés d'imposture et, plus grave à l'époque, de sorcellerie et d'hérésie.

Cependant, Michael Maier, l'influent médecin de l'empereur Rodolphe II, prit fait et cause pour les Rose-Croix dans son « Silentium post clamores », (1617) puis son « Themis Aurea », (1618), voyant en eux les héritiers d'une antique tradition philosophique.

L'Anglais Robert Fludd, qui publie en Allemagne, médecin et auteur d'un certain nombre de traités rosicruciens, se voulut, principalement dans « Apologia Compendiera » (1616) et « Summum Bonum », (1629), un porte-parole de cette fraternité. Fludd et Maier furent les principaux défenseurs et promoteurs des rose-croix, leur donnant leurs lettres de noblesse et accréditant l'existence d'une fraternité immémoriale de sages possédant toutes connaissances et vertus. Ils expliquèrent et développèrent les idées rosicruciennes en y adjoignant certaines qui leur étaient propres.

Parmi les autres partisans des idées rosicruciennes, le médecin et astronome Daniel Mögling publia en 1618, sous le pseudonyme de « Theophilus Schweighardt Constantiensem », un « Speculum Sophicum Rhodostauroticum » (Miroir de la sagesse des rose-croix)

Mystérieuse, sans existence avérée, la fraternité inspira les interprétations et les réactions les plus diverses et parfois les plus fantaisistes. Ce ne furent pas seulement des théologiens et des hommes de science qui se jetèrent dans le débat, mais aussi des âmes en quête de spiritualité, et parfois même des escrocs.

Des princes comme Frédéric V du Palatinat et Gustave Adolphe de Suède ont pu être inspirés par certaines idées des manifestes.

Frances Yates note que ces derniers ont été publiés dans le contexte politique d'une tentative d'union des princes protestants européens, projet qui culminera en 1613 avec le mariage de la princesse Elizabeth Stuart d'Angleterre avec Frédéric V du Palatinat, et l'acceptation par ce dernier de la Couronne de Bohème alors en rébellion contre l'empereur Ferdinand II de Habsbourg.

Selon Frances Yates, les manifestes rose-croix seraient le reflet ésotérique de ces projets de réforme politique, sous l'influence de l'astrologue et mathématicien anglais John Dee (1527-1608). Cela expliquerait la bonne réception que reçurent les manifestes en Angleterre, dans la lignée de Robert Fludd : en 1652 Thomas Vaughan, sous le pseudonyme de Eugene Philatete, traduisit la « Fama et la Confessio », et publia plusieurs ouvrages sur la Rose-Croix qui influenceront Elias Ashmole (1617-1692).

La thèse de Yates manque cependant de preuves historiques directes...

Quoi qu'il en soit, le « Règne d'un hiver » de Frédéric V du Palatinat s'acheva en 1620 avec la victoire des impériaux catholiques à la bataille de la Montagne Blanche.

Les réactions des membres du cénacle de Tübingen

Pour leur part, les auteurs des manifestes semblèrent dépassés tant par leur succès que par les polémiques engendrées, et se désolidarisèrent.

Tobias Hess mort en 1614, Andreae fut le principal suspecté, sa participation semblant avoir été notoire. Il adopta une attitude complexe et ambigüe (voir les analyses de Arnold et Edighoffer) pour se défendre des accusations et calomnies. Il semble avoir voulu d'abord rectifier l'interprétation des Manifestes en publiant les « Noces Chymiques » et le « Theca Gladii Spiritus » (fourreau du glaive de l'esprit).

En même temps, il attaqua ou dénigra dans ses écrits (« Menippus », « Turris Babel ») certains aspects des manifestes, tout en en défendant d'autres. Et finalement, il essaya tout au long de sa vie de promouvoir des sociétés d'union chrétienne, dans lesquelles on peut retrouver une part du projet utopique des rose-croix, dépouillé de leur contenu alchimique et hermétique.

Christoph Besold fit éditer en 1623 De la monarchie espagnole de Tommaso Campanella, pourtant l'un des inspirateurs des manifestes, avec cette phrase mettant en doute l'existence même de la fraternité et le sérieux des manifestes :

« Et déjà la fameuse fraternité des Rose-Croix déclare que dans tout l'univers circulent des vaticinations délirantes. En effet, à peine ce fantôme est apparu (bien que « Fama et Confessio » prouvent qu'il s'agissait du simple divertissement d'esprits oisifs) il a aussitôt produit un espoir de réforme universelle, et a engendré des choses en partie ridicules et absurdes, en partie incroyables. Et ainsi des hommes probes et honnêtes de différents pays se sont prêtés à la raillerie et à la dérision pour faire parvenir leur franc parrainage, ou pour se persuader qu'ils auraient pu se manifester à ces frères, à travers le Miroir de Salomon ou d'autre façon occulte. »

Quoi qu'il en soit, la fraternité ne s'exprima plus publiquement.

L'affaire des placards en France

En juin ou juillet 1623, alors qu'en Allemagne les polémiques s'éteignent peu à peu devant le silence des rose-croix et face aux débuts de la guerre de Trente Ans (1618-1648), des affiches reprenant l'appel des manifestes sont placardées dans tout Paris.

Les auteurs de ces affiches sont restés longtemps inconnus, mais selon un témoignage de Nicolas Chorier découvert en 1971, il s'agirait d'un canular lancé par un jeune étudiant en médecine, Étienne Chaume, avec quelques amis.

Il existe plusieurs versions du texte de ces affiches, et il semble qu'en fait plusieurs textes aient été affichés simultanément.

« Nous Députés du Collège principal des Frères de la Rose-Croix, faisons séjour visible et invisible en cette ville, par la grâce du Très-Haut, vers lequel se tourne le cœur des Justes. Nous montrons et enseignons à parler sans livres ni marques, à parler toutes sortes de langues des pays où nous voulons être, pour tirer les hommes, nos semblables, d'erreur et de mort. »

Cette première affiche est rapidement suivie par une seconde :

« S'il prend envie à quelqu'un de nous voir par curiosité seulement, il ne communiquera jamais avec nous ; mais si la volonté le porte réellement et de fait de s'inscrire sur le Registre de notre Confraternité, nous qui jugeons des pensées, lui ferons voir la vérité de nos promesses ; tellement, que nous ne mettons point le lieu de notre demeure, puisque les pensées jointes à la volonté réelle du Lecteur, seront capables de nous faire connaître à lui et lui à nous. »

Leur texte est reproduit dans un ouvrage publié la même année par Gabriel Naudé, qui mena une enquête : Instruction à la France sur la Vérité de l'Histoire des Frères de la Rose-Croix où l'auteur expose la légende de Christian Rosenkreutz et ironise sur la prétention des frères de la Rose-Croix de réformer le monde. Il voit en eux des êtres acharnés à détruire la religion catholique et le pouvoir royal. La réaction française, à la différence de l'accueil anglais et allemand fut extrêmement négative et pour tout dire, les textes et proclamations rosicruciennes y provoquèrent la panique. L'avis général fut que les rosicruciens pratiquaient la magie noire et que ces « invisibles » étaient donc des sorciers. Les idées rosicruciennes y furent perçues comme des idées d'agents de l'étranger, principalement de l'Angleterre, Robert Fludd en étant la figure emblématique.

Dépassé par l'ampleur des réactions et des polémiques, Chaume s'enfuit de Paris pour faire ses études à Montpellier.

Cyrano de Bergerac (1619-1655), dans son Histoire comique des états et empires du soleil, en parle comme d'« une certaine cabale de jeunes gens que le vulgaire a connus sous le nom de "Chevaliers de la Rose-Croix" »

Controverses autour de Descartes, Leibniz, Comenius et d'autres personnalités

Afin d'accréditer l'existence et l'influence de la fraternité, les auteurs rosicruciens ont souvent mis en avant les relations que des personnalités illustres, notamment Descartes, Leibniz et Comenius, mais aussi Spinoza ou Newton, auraient eu avec la Rose-Croix. Ces relations iraient parfois jusqu'à l'appartenance effective à l'ordre.

Leurs contradicteurs objectent que les éléments historiques disponibles relèvent de l'anecdote tant pour la vie et l'œuvre de ces personnages que pour l'histoire du rosicrucisme. Ces éléments font d'eux des hommes de leur temps plutôt que des membres de la Rose-Croix ou même de la mouvance rosicrucienne :


« On a voulu voir également du rosicrucisme chez Leibniz et chez bien d’autres ; jeu stérile, puisqu'au xviie siècle l’ésotérisme moniste est de toute manière la philosophie de presque tous les gens qui pensent. » 

— Antoine Faivre

Descartes

Descartes (1596-1650) séjournait en Hollande et en Allemagne de 1618 à 1622, au plus fort de l'affaire des Rose-Croix. Il semble s'y être intéressé car d'après son premier biographe, Adrien Baillet, il aurait dit : « Si les Rose-Croix étaient des imposteurs, il n’est pas juste de les laisser jouir d’une réputation mal acquise aux dépens de la bonne foi des peuples ; s’ils appartoient quelque chose de nouveau dans le monde, qui valût la pleine d’être su, il auroit été malhonnête à luy, de vouloir mépriser toutes les sciences, parmi lesquelles il s’en pourrait trouver une, dont il aurait ignoré les fondements. »

Adrien Baillet relate, sur un ton amusant, qu'après avoir été intrigué par les « confrères de la rose-croix, dont il avoit fait des recherches inutilement en Allemagne durant l'hiver de l'an 1619 [...] l'on commençoit à faire courir le bruit qu'il s'étoit enrollé dans la confrérie. M. Descartes fut d'autant plus surpris de cette nouvelle, que la chose avoit peu de rapport au caractére de son esprit, et à l'inclination qu'il avoit toûjours euë, de considérer les rose-croix comme des imposteurs ou des visionnaires. » 

Après l'affaire des affiches (1622), il dut se faire voir partout à Paris pour se disculper d'être un des prétendus "invisibles".

En dédicace du manuscrit d'un pseudotraité de mathématique « Polybii Cosmopolitani Thesaurus mathématicus »  (Trésor mathématique de Polybe le cosmopolite) (1619), on trouve la dédicace suivante : « totius orbis eruditis et specialiter celeberrimis in G F.R.C denuo oblatus » (« aux savants du monde entier et particulièrement F(rères) R.C très celèbres en G(ermanie) »). Ce texte ne fut pas publié. Geneviève Rodis-Lewis, dans sa biographie Descartes de 1997, s'appuyant sur le caractère parodique de l'ouvrage, voit dans cette dédicace une intention sarcastique. Jean-Pierre Bayard y trouve au contraire un signe d'intérêt et de soutien.

Il reste que l'épisode fameux et fondateur des trois songes de Descartes eut lieu en Allemagne à l'hiver 1619, alors qu'il s'intéressait aux Rose-Croix. Certains auteurs pensent que l'imaginaire de Descartes fut alors inspiré par les textes rosicruciens qu'il devait lire à l'époque. Cependant cette hypothèse a été rejetée par Fernand Hallyn, et la véracité de toute l'anecdote racontée par Baillet a elle-même été mis en doute par Henri Gouhier après une minutieuse étude des sources.

Leibniz

Vers 1666, le philosophe et mathématicien allemand Leibniz (1646-1716) devint membre de la « Société Alchimique » de Nuremberg (1654-~1700) et en fut secrétaire pendant deux ans. Cette société est parfois confondue à tort avec celle de la Rose-Croix d'Or (voir ci-dessous). Il s'intéressa au texte des Noces Chymiques et décrypta l'énigme du nom de la jeune fille "Alchimia". Quant aux manifestes eux-mêmes il les considéra comme des fictions : « Tout ce que l’on a dit des Frères de la Croix et la Rose, est une pure invention de quelque personne ingénieuse ».

Comenius

Andreae fut, par ses projets de sociétés d'union chrétienne, en contact avec le pasteur de Bohême Comenius. En 1628, Andreae, découragé, lui écrivit pour lui passer le relais :

« Nous fûmes quelques hommes de grande valeur, qui [...] après la bouffonnerie de la vaine "Fama", nous étions réunis.[...] Vous abandonnant ce qui reste de notre naufrage, nous vous le transmettons volontiers, assez heureux si notre entreprise n'a pas tout à fait échoué. »

Malgré ces dénigrements, Comenius semble, dans « Le Labyrinthe du monde » (1631), avoir été séduit par les espérances développées dans les manifestes rose-croix.

S'en inspirant, il rédigea, en 1641 en Angleterre, un ambitieux et généreux programme de réforme : la « Via Lucis » (« Chemin de la lumière »). Edighoffer fait de Comenius celui qui fit passer la Rose-Croix du luthérianisme allemand au cadre universaliste et humanitariste qui allait être celui de la franc-maçonnerie.

Sociétés rosicruciennes et rosicrucianisme au XVIIIe siècle...

Après un oubli relatif pendant la seconde moitié du xviie siècle, une nouvelle efflorescence rosicrucienne apparaît au xviiie siècle. Parallèlement à l'essor de la franc-maçonnerie, différents mouvements et groupements rosicruciens se forment, touchant les sphères aisées de la société.

Les plus importants de ces groupements furent les différents groupes dénommés « Rose-Croix d'Or » et celui de la « Rose-Croix d'Or d'ancien système » (ces organisations n'ont pas de lien historique avec le "Lectorium Rosicrucianum" contemporain, dont il est question plus loin, hormis une prétention alchimique commune).

L'Ordre de la Rose-Croix d'Or (1710)

En 1710, parut à Breslau et en allemand, sous le nom de "Sincerus Renatus" (pseudonyme du prédicateur silésien Samuel Richter) : La vraie et parfaite préparation de la Pierre Philosophale par la Fraternité de l'Ordre de la Rose-Croix d'Or . Ce texte, qui est essentiellement un traité d'alchimie, se termine par l'énumération des cinquante-deux règles de l'ordre (instituant comme chef suprême le grade d'"Imperator" qui sera repris plus tard).

L'ordre décrit par Richter ne semble pas avoir existé, mais divers conventicules, de doctrine plutôt floue et reliés entre eux de façon assez lâche, prirent le nom de Rose-Croix d'or et se développèrent en Allemagne, en Pologne, en Tchécoslovaquie, aux Pays-Bas et jusqu'en Russie. C'est au sein de ces groupements que serait née vers 1750 la théorie de la filiation templière de la franc-maçonnerie, avec pour intermédiaires les rose-croix.

Cette théorie se développa ensuite au sein de la branche dite rectifiée de la franc-maçonnerie, avant d'être démentie par le convent de Wilhelmsbad en 1782. Toutefois, cette mise au point ferme sur le plan historique n'empêcha pas une partie du symbolisme alchimique et chevaleresque introduit dans les hauts grades maçonniques à cette occasion d'y demeurer par la suite.

Les Figures secrètes de la Rose-Croix des XVIe et XVIIe siècle , imprimées en deux parties, en 1785 puis en 1788, à Altona près de Hambourg, constitueraient le "testament spirituel" des rose-croix d'or. Elles comportent entre autres 36 planches d'images et de symboles alchimiques, théosophiques et hermétiques. L'auteur en est inconnu. On y distingue l'inspiration de Valentin Weigel, Heinrich Khunrath et Jacob Boehme, précurseurs des pensées rosicruciennes et théosophiques.

L'Ordre des Rose-Croix d'or d'ancien système (1777)

En 1777, un officier prussien, Johann Rudolf von Bischoffswerde, et un ancien pasteur, Jean Christophe Wöllner, fondent à Berlin l'« Ordre des Rose-Croix d'Or d'ancien système » à partir de la loge maçonnique des Trois Globes. Ils font remonter la généalogie des rose-croix, non au fondateur supposé Christian Rosenkreutz, mais à « Adam lui-même ».

Cette sapience divine aurait ensuite été conservée et transmise par les patriarches bibliques, les sectes à mystères, les pythagoriciens et les druides. L'ordre lui-même aurait été fondé par Ormus, un prêtre d'Alexandrie baptisé par saint Marc. Il se serait perpétué en Palestine jusqu'à l'époque des croisades, où il se serait transporté en Europe. La Rose-Croix d'or d'ancien système eut un succès certain et compta, dès 1779, 26 cercles et 200 membres en Allemagne.

Les deux fondateurs, grâce à diverses mystifications teintées d'occultisme, parvinrent à s'attirer les bonnes grâces des hautes sphères politiques. Ils furent ainsi nommés ministres en 1786 et suspendirent alors les activités de l'ordre qui devenait suspect et comptait alors plusieurs milliers de membres.

La symbolique rosicrucienne dans les milieux maçonniques

Le premier document connu rapprochant la rose-croix et la franc-maçonnerie date de 1638 à Édimbourg. Il s'agit d'un bref extrait du poème de Henry Adamson La Thrène des muses :

« For what we do presage is not in grosse,
For we be brethren of the Rosie Crosse:
We have the Mason word and second sight,
Things for to come we can foretell aright. »

Il est possible que des personnes sensibles aux idéaux de l'utopie rosicrucienne se soient affiliées aux loges maçonniques du XVIIe siècle en Angleterre et en Écosse.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le mot "Rose-Croix" fait beaucoup plus référence à un état d'ultime sagesse et de complète réalisation qu'à une organisation : on dit à l'époque "un rose-croix" pour désigner un de ces supposés initiés ultimes et « l'ordre des Rose-Croix » pour parler de leur organisation.

C'est dans cette acception qu'apparaît en franc-maçonnerie, vers 1760, le grade dénommé "chevalier rose-croix". Il devient un temps le grade terminal du Rite du royal Secret avant de devenir, en 1801, le 18e grade durite écossais ancien et accepté.

Le "bijou" traditionnel de ce grade est un compas orné d'une rose-croix et d'un pélican qui nourrit ses petits avec son propre sang. Dans certains autres de ces rituels maçonniques, on trouve des développements ésotériques du mythe de la construction du temple de Salomon qui rappellent la symbolique du temple-tombe de Christian Rose-Croix, « image et abrégé de l'Univers ».

À l'inverse, on trouvera, dans les rituels de nombreux groupes rosicruciens contemporains ou fondés au XIXe siècle, des emprunts à des rituels maçonniques attestés dès la fin du XVIIIe siècle. Ces influences mutuelles s'expliquent aisément par le fait qu'à l'instar de Papus, Lewis, Hutin et bien d'autres, les auteurs rosicruciens des XIXe siècle et XXe siècles seront très souvent également francs-maçons.

À la même époque, Martines de Pasqually fonde un « Ordre des Chevaliers Élus Cohen » au sein duquel il enseigne sa doctrine, proche de l'hermétisme chrétien (comme celle des rose-croix) et dont les membres les plus avancés pratiquent la théurgie et portent le titre de "Réaux-Croix".

Le terme "réaux-croix" semble avoir été inventé par Pasqually, par analogie avec rose-croix, tout en s'en distinguant, réau signifiant le "grand Adam" et "puissant prêtre". Ses successeurs Jean-Baptiste Willermoz et Louis-Claude de Saint-Martin ("le philosophe inconnu") mirent l'ordre en sommeil après la mort de Pasqually en 1774, mais sa doctrine inspira en partie Willermoz dans sa contribution à la rédaction des derniers hauts grades maçonniques du rite écossais rectifié à l'occasion du "convent des Gaules" en 1778.

En 1798, l'abbé Augustin Barruel publie ses « Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme » dans lesquelles il accuse les Illuminés de Bavière (fondés en 1776, interdits en 1784 et éteints en 1790) d'être à l'origine d'un complot mondial qui aurait été la véritable cause de la chute de la monarchie en France.

Bien que réfutée depuis longtemps par la plupart des historiens, cette "théorie du complot" et ses dérivées ont encore aujourd'hui un certain nombre de partisans qui estiment que les rose-croix faisaient eux aussi partie de ce supposé complot. Quoique les idées des "illuminés" de Bavière, branche radicale des Lumières, semblent incompatibles avec la doctrine mystique "illuministe" des rose-croix et des rosicruciens, la confusion lexicale fut et reste fréquente.

Les rose-croix dans l'art et la littérature au XVIIIe siècle

Les proches des rosicruciens contemporains voient de fréquents symboles rosicruciens dans l'art et la littérature des XVIIe et XVIIIe siècles. Certaines de ces influences sont avérées, d'autres sont plus discutables. Les symboles utilisés par les rosicruciens sont comparables à ceux utilisés par d'autres mouvements férus d'ésotérisme et d'alchimie déjà existants.

Les manuels initiatiques des rose-croix d'or et le texte des « Noces Chymiques » marquèrent une partie de l'œuvre de Gœthe, notamment dans « Les Mystères, le Conte et le second Faust ». Dans son poème inachevé « Les Mystères » (1784-1786) on trouve notamment la phrase : « Qui donc a marié les Roses à la Croix ? ». 

Pour les rosicruciens, l'opéra « La Flûte Enchantée » de Mozart constituait une allusion à peine voilée aux rites initiatiques supposés de la Rose-Croix, notamment pour ce qui concerne les épreuves du feu et de l'eau que traversent les deux héros à la fin de l'opéra. Il est néanmoins communément admis que, Mozart et Emanuel Schikaneder – son librettiste - étant tous deux francs-maçons, cette œuvre adopte une symbolique maçonnique.

Personnages célèbres

L'appartenance de certaines personnalités aux organisations rosicruciennes du XVIIIe siècle a parfois été évoquée.

Influencé par les idées de Josef Hoëné-Wronski, l'occultiste Éliphas Lévi a prétendu que Napoléon Bonaparte était rosicrucien, et avait reçu pour mission d'unifier l'Europe. D'autres auteurs, tels Papus ou Harvey Spencer Lewis ont aussi soutenu cette idée.

Sociétés rosicruciennes et rosicrucianisme aux xixe, xxe et xxie siècles

Entre les milieux du XIXe et du XXe apparaissent, dans divers pays, des groupements se réclamant de la Rose-Croix mais de doctrines divergentes. Au xixe siècle ils versent de plus en plus dans l'occulte et dans la magie, avec une diversité de grades, de structures hiérarchiques d'origines mystérieuses et de titres impressionnants....

La plupart de ces sociétés étaient considérablement influencées par la forte personnalité de leurs guides et fondateurs. Plusieurs figures importantes de l'ésotérisme occidental du xixe siècle écrivirent sur la Rose-Croix et le personnage de Christian Rose-Croix, : Helena Petrovna Blavatsky, fondatrice de la Société théosophique ; Rudolf Steiner, d'abord secrétaire général de la Société théosophique en Allemagne, puis fondateur de la Société anthroposophique, qui y consacra de nombreux ouvrages ; enfin René Guénon.

Le peintre français Yves Klein, (1928-1962), qui avait découvert le rosicrucianisme dans le livre de Max Heindel, La Cosmogonie des Rose Croix, s'était inscrit tout jeune à la Rosicrucian Fellowship de Californie avec son ami le sculpteur Arman. L'influence de cette fréquentation qui n'a pas duré très longtemps est toutefois perceptible dans l'œuvre de Klein...

Aujourd'hui encore, au début du XXIe siècle, un certain nombre de mouvements actifs et parfois internationaux, se réclament de l'héritage rosicrucien. Les principaux sont, par ordre alphabétique : l'AMORC, le Lectorium Rosicrucianum, La Rosicrucian Fellowship, la Societas Rosicruciana in Anglia...

La Rose-Croix de Toulouse (1850)

Joséphin Peladan, qui fondera la Rose-Croix kabbalistique, a été initié au rosicrucianisme par son frère Adrien (1844-1885), l’un des premiers homéopathes français. Ce dernier aurait été reçu - selon Christian Rebisse, par un « membre de la dernière branche de l’ordre, celle de Toulouse ». À cette branche toulousaine de la Rose-Croix aurait également appartenu le vicomte Édouard de Lapasse (1792-1867), un ancien diplomate et médecin alchimiste toulousain.

La Societas Rosicruciana in Anglia (1867)

La Societas Rosicruciana in Anglia ou SRIA, dérive de la "Societas Rosicruciana in Scotia" (SRIS), et fut fondée à Londres en 1867 par les maîtres maçons William James Hughan et Robert Wentworth Little peu après leur réception à Edimbourg, tous deux étaient membres de la Grande Loge unie d'Angleterre. Il s’agit d’un ordre rosicrucien admettant un maximum de 144 membres, et exclusivement destiné aux francs-maçons de cette grande loge ou des grandes loges reconnues par elle qui avaient atteint le grade de "Maître".

Les rituels et les initiations de la SRIA reprennent la structure en 9 grades de la Rose-Croix d'or d'ancien système, le contenu est strictement chrétien et les membres portent des noms et des devises latines.

On a souvent répété à tort que l'écrivain Sir Edward Bulwer-Lytton, auteur de « Zanoni ou la sagesse des Rose-Croix », en fut le grand maître et qu'il y intronisa le Français Éliphas Lévi (qui en fut effectivement un des premiers membres).

En réalité, Sir Bulwer Lytton n'a jamais joué aucun rôle dans la SRIA. En juillet 1870, Bulwer Lytton avait été nommé grand patron de la SRIA, c'est-à-dire président d'honneur, sans qu'il en ait été informé. Averti seulement fin 1872 qu'on lui avait accordé cette haute dignité, il écrivit immédiatement une lettre de protestation et de refus à John Yarker, l'un des dirigeants de la Société.

Toujours active, réservée aux membres de la Grande Loge unie d'Angleterre, elle se définit désormais elle-même comme une société dont « le but est l'aide mutuelle et l'encouragement dans la recherche sur les grands problèmes de la vie et la découverte des secrets de la nature, l'étude du système de philosophie fondée sur la Kabbale et les doctrines d'Hermès Trismégiste [transmises par] les Frères de la Rose-Croix d'Allemagne en 1450 (sic) et l'étude de la signification et du symbolisme de tout ce qui reste aujourd'hui de la sagesse, de l'art et de la littérature de l'Ancien Monde ». Elle a des filiales aux États-Unis, en Écosse, et en France (le collège Bernard de Claivaux).

Ce sont des membres de la SRIA qui fonderont en 1887 l'ordre de la Golden Dawn.

La Golden Dawn (1887)

En 1887, à Londres, est fondée la « Fraternity of the Esoteric Order of the Golden Dawn », connue plus tard sous le nom d'« Hermetic Order of the Golden Dawn » (« Ordre hermétique de l'Aube dorée ») par le Dr. William Wynn Wescott, William R. Woodman et Samuel Liddell MacGregor Mathers, membres de la SRIA.

Un de ses membres importants sera l'occultiste et alpiniste Aleister Crowley, par ailleurs membre d'un ordre martiniste et de l'Ordo Templi Orientis. On y rencontre aussi l'écrivain Bram Stoker et le poète irlandais William Butler Yeats.

Sous l'impulsion de Mathers se développa au sein de l'Ordre un "cercle intérieur" rosicrucien, l'« Ordre de la Croix d’Or et de la Rose Rubis », dont les membres pratiquaient la théurgie et qui eut une influence considérable sur la pensée rosicrucienne moderne...

Hostiles à Crowley et à la magie opérative, Arthur Edward Waite (auteur d'études historiques sur la Rose-Croix) et Yeats réforment l'ordre et fondent le Saint Ordre de l'Aube Dorée. La Golden Dawn traditionnelle survit sous la forme de la Stella Matutina.

L'Ordre kabbalistique de la Rose-Croix (1888)

Fondé en 1888, en France, par Stanislas de Guaita et Joséphin Peladan, l'Ordre kabbalistique de la Rose-Croix a compté, parmi ses membres Papus, Erik Satie (qui composa pour l'ordre les Sonneries de la Rose-Croix) ou Paul Sédir.

L'Ordre kabbalistique de la Rose-Croix enseignait la Kabbale et l'occultisme au sein d'une université libre. L'ordre décernait des grades de "bachelier en kabbale", "licencié en kabbale" et "docteur" au cours d'examens écrits et oraux.

Selon Jean-Fançois Bayard, le but en était « de mener simultanément une action occulte en vue de préserver la civilisation judéo-chrétienne et une action diffusante au cœur d'un public de profanes mais curieux de sciences occultes ». L'épisode de la guerre "occulte" de ces rosicruciens avec le moine défroqué Joseph-Antoine Boullan, mage noir réputé et exorciste, a alimenté les chroniques mondaines de l'époque et fut l'occasion de proclamations et d'anathèmes jetés par journaux interposés.

Prétextant un refus de la magie opérative, Péladan se sépare du groupe en 1891 pour fonder l'Ordre de la Rose-Croix catholique et esthétique du Temple et du Graal. Cet ordre sera à l'origine des « Salons de la Rose-Croix » qui connurent une grande fréquentation.

Entre mai 1890 et mars 1893 éclata "la guerre des deux roses". Il s'agit de l'opposition entre Stanislas de Guaita, fondateur de l'Ordre kabbalistique de la Rose-Croix, et de son ancien ami Joséphin Péladan, fondateur de l'Ordre de la Rose+Croix Catholique du Temple et du Graal.

De 1920 à 1942 Pierre Piobb réserve son enseignement à un petit nombre d'élus mais refuse de fonder un ordre.

L'Ordo Templi Orientis (1902)

L'Ordo Templi Orientis, parfois noté OTO, était une société secrète allemande. Elle fut fondée par le franc-maçon viennois Karl Kellner. Après sa mort, Theodor Reuss, par ailleurs membre de la SRIA, en prit la direction. Dans son contenu, l'OTO mêlait des influences de soufisme et de tantrisme. Les rites étaient ceux de Memphis Misraïm. Selon Reuss, l'ordre avait ses racines dans la Rose-Croix mais son origine dans l'Ordre du Temple.

La Rosicrucian Fellowship (1909)

Entre 1909 et 1911, aux États-Unis, Max Heindel pose les bases de la Rosicrucian Fellowship ("Association rosicrucienne"). L’ouvrage de référence de cette association est lacosmogonie des Rose-Croix, portant sur le mystère du Monde.

Max Heindel a fondé son mouvement après un voyage en Allemagne pour rencontrer Rudolf Steiner.

D'après Max Heindel, il aurait rencontré sur le bateau le ramenant en Amérique ce qu'il appela un "Frère Aîné de la Rose-Croix", lequel lui aurait proposé de révéler publiquement et gratuitement leurs enseignements.

L'Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix (AMORC) (1917)


Suite à son initiation à Toulouse le 12 août 1909, le docteur Harvey Spencer Lewis fonde l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix ou AMORC le 1er avril 1915 aux États-Unis.

Pour l'AMORC, le personnage de Christian Rose-Croix, ou Christian Rosenkreutz, est une allégorie. En effet, l'ordre aurait été créé, non par un initié portant ce nom symbolique mais par une société initiatique de mystères organisée par le pharaon Thoutmôsis III. Ce pharaon aurait regroupé les écoles de mystères existantes au sein d'une même entité, il y a 3 500 ans.

L'AMORC a publié en 2001, ce qu'il définit comme étant un "quatrième manifeste rosicrucien".

La Confrérie de Crotone de l'Ordre rosicrucien (1924)

La Confrérie de Crotone de l'Ordre rosicrucien ("Rosicrucian Order Crotona Fellowship"), parfois notée CCOR, fut fondée par George Alexander Sullivan en 1924. Certains la considèrent comme étant la continuation de l’Ordre des Douze, société ésotérique dirigée par Sullivan dans les années 1911-1914 puis, à nouveau, dans les années 1920.

L'École de la Rose-Croix d'or (Lectorium Rosicrucianum) (1924)

Les fondateurs de l'actuelle Rose-Croix d'or font remonter sa naissance au 24 août 1924, c’est-à-dire lorsqu'ils en conçurent le projet. Le nom de « Rose-Croix d'Or » s'inspirerait d'une fraternité rosicrucienne ayant existé en Allemagne au XVIIIe siècle. Ce mouvement est issu de la « Rosicrucian Fellowship » de Max Heindel. Cette fraternité initiatique chrétienne, qui se réfère à la Gnose et au Catharisme pyrénéen, a pris en 1945 le nom de « Lectorium-Rosicrucianum », ce qui signifie "lieu d'enseignement de la Rose-Croix".

Ancien Ordre des Rosicruciens (A.O.R.) (1989)

L'Antiquus Ordo Rosicrucianis (A.O.R.), basé en Autriche, affirme sur son site web être une organisation mondiale sans but lucratif fondée en 1989.

Controverses sur les dérives sectaires de certaines associations rosicruciennes

Plusieurs organisations se réclamant de la Rose-Croix ont été suspectées de dérives sectaires par les autorités françaises.

L'Alliance Rose-Croix, le « Lectorium Rosicrucianum » et l'"AMORC" sont mentionnées, à divers titres, dans les rapports de la commission parlementaire sur les sectes en France de 1995 (rapport général) et de 1999 (les sectes et l'argent). Néanmoins, les rapports rendus par ces commissions d'enquêtes parlementaires ne constituent qu'un élément d'information et de proposition, ils n'ont pas de valeur juridique et des personnalités extérieures aux associations citées ont contesté ce classement...

Thèses et concepts rosicruciens

Rosicrucien ou Rose-Croix, quelle est la différence ?

Pour les rosicruciens contemporains, l'état de "Rose-Croix" désignerait celui qui a atteint l'état ultime de perfection spirituelle et morale (parfois appelé état « christique »), tandis que rosicrucien désigne l'initié qui cherche à atteindre l'état d'illumination du "Rose-Croix".

D'après ces mêmes rosicruciens, la réponse à la question de la nature de la véritable Rose-Croix ne peut provenir que de l'expérience intérieure de chacun.

Selon Max Heindel : « les Frères de la Rose-Croix sont parmi ces âmes miséricordieuses et ce n'est rien de moins qu'un sacrilège que de trainer ce nom de Rose-Croix en l'appliquant à nous-mêmes, alors que nous ne faisons qu'étudier leurs sublimes enseignements. » Selon Jan van Rijckenborgh, la Rose Croix est issue « de la hiérarchie de Christ (Logos) [et] les membres de cette Fraternité de la Rose-Croix agissent et se font connaître de manière anonyme. » 

L'universitaire Umberto Eco remarque que, pour les rosicruciens, se déclarer Rose-Croix est la preuve qu'on ne l'est pas, et que cela rend, par définition, l'inexistence de la Rose-Croix indémontrable.

Rose-Croix et alchimie

Les manifestes Rose-Croix sont marqués par la pensée alchimique, fort en vogue à l'époque, avec notamment des références explicites à Paracelse.

On y trouve notamment la critique, très courante dans les textes alchimiques, des "souffleurs", c'est-à-dire des "faiseurs d'or", par opposition à la "véritable" alchimie, dont le but serait de comprendre les lois de la Nature pour l'aider à se parfaire, tout en se transformant soi-même. Les premiers rosicruciens ou principaux partisans des Rose-Croix (Maier, Fludd, Schweighardt, etc.) étaient pour la plupart des alchimistes, dans tous les sens du terme.

Les rosicruciens d'aujourd'hui se consacrent avant tout à une l'alchimie dite "spirituelle", en s'inspirant tout particulièrement des Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz.

Pour cette "alchimie spirituelle", la "materia prima" est l'âme humaine et l'athanor est constitué par le corps physique et les corps subtils qui maintiennent ce dernier en vie et assurent le lien avec l'âme, étincelle divine. Le laboratoire en est l'existence humaine au cours de laquelle l'âme a la possibilité d'accomplir son apprentissage pour se parfaire, opérant la transmutation du vil métal de ses vices et de ses défauts en or spirituel, autrement dit en les vertus et qualités correspondantes.

Cette alchimie ne se réduit cependant pas à une transformation de la personnalité de l'Homme. Elle met en évidence les rapports existant entre Dieu, l'Homme et la Nature.

La connaissance du « Livre de la Nature » s'oppose à la conception matérialiste d'un "univers-machine" composé uniquement d'atomes.

Ainsi pour naître à l'harmonie entre l'Homme et l'Univers, la philosophie rosicrucienne étudie les relations entre le ciel et la terre. Elle fait de l'homme un microcosme image et l'abrégé de l'Univers, ou macrocosme. La rencontre entre ces deux dimensions symbolisée par la croix ayant la rose en son centre est le lieu de l'alchimie, l'athanor.

Le symbolisme de la rose et de la croix

Ce symbole classique au XVIIe siècle a été repris par l'AMORC sous forme d'une croix en or trilobée ayant en son centre une seule rose rouge : la croix représenterait le corps physique, et la rose l’âme en voie d'évolution, comme la fleur s'ouvre lentement à la lumière. Il désignerait symboliquement un état spirituel à atteindre, et l'aboutissement de la quête d'une connaissance d'ordre cosmologique en rapport avec l'hermétisme chrétien.

Cette vision toute moderne du symbole de l'ordre ne saurait en limiter la signification. À ce titre, il est intéressant de rappeler que, d'après Robert Fludd, le symbole de l’ordre serait une rose rouge sur une croix rouge (« Summum Bonum », 1629). S’inscrivant dans la lignée des manifestes rosicruciens du xviie siècle, Robert Fludd situe cette symbolique dans le christianisme en ajoutant que « les Rose-Croix s’appellent frères parce qu’ils sont tous fils de Dieu et que la rose est le sang du Christ, que, sans la croix interne et mystique, il n’y a ni abnégation, ni illumination ».

Les sociétés rosicruciennes passées et présentes ont décliné le symbolisme de la rose et de la croix de diverses manières : l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix de Stanislas de Guaita et Joséphin Peladan avait pour symbole une croix inspirée de la Croix de Malte ornée d'un pentagramme et de quatre roses, la Rosicrucian Fellowship a pour symbole une croix ornée d'une couronne de roses, etc...

L'École de la Rose-Croix d'Or désigne la rose épanouie comme étant le symbole de la perfection divine de l'âme, matérialisée par l'or. La croix d'or représente le corps de l'homme transfiguré. Cette école évoque un chemin, vécu à travers trois roses, soit trois phases de transformation :

- la rose blanche représente la purification ;
- la rose rouge évoque le sang de l'amour répandu pour tous, par le service à autrui ;
- la rose d'or est l'accomplissement, la réintégration du corps, de l'étincelle divine (l'âme) et de l'esprit dans l'harmonie originelle divine.

LE TAROT ET LA ROSE CROIX

Le Tarot Rose-Croix de Jacques Vieville...

Le Tarot qui nous intéresse ici est celui Jacques Viéville, qui peut sans doute être considéré comme étant un tarot "Rose-Croix".

Viéville est une de ces "Maîtres-cartiers" qui ont conçus des tarots au XVIè siècle et au XVIIIè.... Il est évident que les premiers tarots qui ont été publiés sont né de groupements d'initiés. Les premiers tarot en circulation sont certainement apparut en raison de ce Compagnonnage spécifique de "gens du papier", graveurs, imagiers, imprimeur, éditeurs...

En vérité, les premiers tarots, diffusés à Paris illustraient la nouvelle vision "symbolique", voire "symboliste" de la Renaissance ; basée sur l'hermétisme néo-platonicien, cabalistique, et certainement sur une gnose chrétienne et aux échos templières...

Il n'a jamais été dans l'intention des cartiers de créer des cartes pour la divination, c'est seulement après la disparition des Maîtres que la Franc-Maçonnerie s'empare des jeux et leur donnent cette direction....

De la fin du XVIIIè siècle jusqu'au début du XXè, il n' y a que des francs-maçons, des bohèmes ou des initiés qui s'intéressent aux cartes du tarot.

Fulcanelli décrit ainsi un médaillon de la cathédrale d'Amiens : 

« Le Maître anonyme qui sculpta les médaillons du porche de la Vierge-Mère a très curieusement interprété la condensation de l'Esprit universel ; un adepte contemple le flot de la rosée céleste tombant sur une masse que nombre d'auteurs ont prise pour une toison. Sans infirmer cette opinion, il est tout aussi vraisemblable d'y soupçonner un corps différent, tel que le minéral désigné sous le nom de Magnésie ou d'Aimant philosophique... Archée céleste, Crachat de Lune, Beurre de Terre, Graisse de rosée, Vitriol végétal, Flos Coeli, etc., selon qu'ils (les Maîtres) le regardaient comme réceptacle de l'Esprit universel, ou comme matière terrestre exhalée du centre à l'état de vapeur, puis coagulée par refroidissement au contact de l'air » 

(Le Mystère des Cathédrales).


Le Maître-cartier Vieville n'interprète pas différemment le phénomène exprimé dans la carte de la Foudre. Son orageux berger est vêtu à la grecque pour rappeler la Fable hermétique de Jason et la toison d'or...


Le tarot de Jacques Vieville est un authentique Tarot Rose-Croix...

Voici la démonstration qu'en a fait Charly Alverda sur un autre forum, reproduite ici avec son accord, car ce texte très intéressant méritait d'être porté à votre connaissance ici aussi.

"Le tarot Vieville est exclusivement hermétique et ce qui est - à ma connaissance - unique, de signature Rose-Croix et c'est ce que je démontre ici.

Les cartes de la Quinte Essence, les 22 “ triomphes “, sont des emblèmes ou hiéroglyphes au sens du XVIè siècle car leur création depuis la découverte des pseudos hiéroglyphes d'Horappolon était censée véhiculer la science “ égyptienne” d’Hermès, synthèse de pythagorisme, de néo-platonisme et de Kabbale hébraïque qui fit toute la Renaissance artistique. Cette science basée sur l'analogie qu’est l’hermétisme vit ses plus belles fleurs s’épanouir au tout début du XVIIè siècle dans le mouvement Rose-Croix. (Lire Frances Yates : La philosophie occulte à l’époque élisabèthaine et Pierre Béhar : Les langues occultes de la Renaissance.)

Le Chef d’Oeuvre de Vieville cartier parisien, notons le, signe cette reconnaissance envers les Manifestes R + C : la Fama, la Confessio et les Noces chymiques de Christian Rozenkreutz, et ceci dans un contexte très défavorable.

En 1623 des affiches sybillines étaient parues à Paris. Gabriel Naudé (bibliothécaire de Richelieu) nous relate les faits dans ses « Révélations à la France sur la vérité de l'histoire des Frères de la Rose-Croix » Voici le texte de la première affiche apparue sur les quais de Paris :

« Nous, députés du Collège des Frères de la Rose-Croix, faisons séjour visible et invisible dans cette ville par la grâce du Très-Haut, vers lequel se tourne le coeur des justes. Nous montrons et enseignons, sans livres ni marques, à parler toutes sortes de langues des pays où nous voulons être, pour tirer les hommes, nos semblables, d'erreur et de mort ».

Ces affiches et d'autres aussi étranges qui paraîtront quelques jours plus tard, rappelleront à l'élite intellectuelle française certains manifestes circulant en cinq langues dans toute l'Europe depuis une dizaine d'années. Le plus fameux de ces manifestes : la FAMA est intitulé : La Renommée de la Fraternité de l'Ordre très illustre des Rose-Croix. Thomas Corneille, à propos de la Pierre Philosophale - et non concernant sa pièce de théâtre du même nom - écrivait : « Mille gens en parlent, et plusieurs pourtant n'en connoissent que le nom. Les Roze-Croix ont grande relation avec ceux qui la cherchent, et avec une Secte particulière de Gens qu'on appelle Cabalistes ». Et, poursuivant sur les R + C : « Beaucoup de leurs visions, et surtout les ridicules pensées qu'ils avoient que chaque Elément estoit remply d'Habitants invisibles, et qu'ils pouvoient prendre alliance parmy eux comme Sages et en 1623, on ne parloit d'autre chose à Paris ».

Tout au long du XVIIè siècle, en france, les R + C (par ailleurs protestants) furent inquiétés. "L'affaire des poisons" n'arrangea rien à cause du groupe d'"alchimistes" douteux qui avait fabriqué les poisons. On trouva un poème alchimique dans les papiers de la Voisin et Glaser se trouvait, par ailleurs, impliqué dans l'affaire comme complice de la Brinvilliers. Tout cela était lié dans l'imaginaire collectif aux R + C et aux Cabalistes.

Vieville risquait le bûcher, tout au moins les galères, il le savait. Descartes qui était parti dans les Allemagnes à la recherche des R+C et de retour à Paris à cette date fut obligé de prouver sa non appartenance au mouvement, ce qu'il fit en arguant qu'il ne pouvait appartenir à la Secte des Invisibles faisant preuve de sa visibilité !.

C'’est donc avec un certain courage que notre cartier dissimula dans ses cartes sa connaissance de l’hermétisme R + C.

Toutes ses cartes sont inversées et doivent être regardées dans un miroir. Contrairement à l'usage répandu dès cette époque ses cartes ne sont pas légendées mais les noms sont inscrits sur son As de Deniers et son 2 de Coupes, ce qui lui permet d’appeler Dame la Tempérance, Viel art l’Hermite...  Et d'éviter de mettre des nombres en regard.

L’ordre de certains triomphes est lui même inversé, ce qui n'était pas rare à cause des techniques de gravure, nombre de cartiers ont inversé le IX et le XI, mais c'est ici intentionnel, le Viellard, à la barbe mercurielle fournie, aimante et condense l'énergie d'en-bas quand elle remonte de terre principalement au printemps. Il inverse aussi VII et VIII. VII avec la Balance est le 7è signe d'Air et le Chariot est tiré par des sphinx 

La Dame de toutes ses pensées nous oblige à utiliser certain miroir… 

Dans ce miroir serpentiforme apparaissent deux mots, SOL et FAMA, mots ne pouvant se lier grammaticalement. Ainsi, maître Jacques attire notre attention sur la FAMA (la Renommée) des Rose-Croix, leur Art du Soleil et, aussi sur la SEULE FEMME (ne dit-on pas, par ignorance, « des remèdes de bonne femme » pour des remèdes de bonne renommée, bone fama ?) 

La dame couronnée de pourpre élève de sa main gauche un sceptre ailé et de sa droite abaisse un vase doré qui répand un liquide couleur mercure dans une urne soulignée de rouge, tout en "fixant" du regard le double serpent de la banderole ou mercure double. Le mercure est appelé par les maîtres « miroir où l'on voit toute la nature à découvert »

Très subtilement, le cartier joue ainsi avec l'image traditionnelle de la Tempérance et la figure secrète du caducée, attribut du mercure ailé. Selon le dictionnaire mytho-hermétique de Dom Pernety, « l'un de ces serpents représente la partie volatile de la matière philosophique, l'autre signifie la partie fixe, qui se combattent dans le vase. L'or philosophique les met d'accord en les fixant l'un à l'autre et en les réunissant en un seul corps inséparablement. » 

La Tempérance des tarots est toujours représentée avec des ailes d'ange ; dans les tarots plus anciens elle prend le nom archaïque d'attrempance et le Comte de la Marche trévisane de dire dans sa Parole délaissée : « Notre œuvre n'est autre chose que vapeur et eau, qui est dite mondifiante, ou nettoyant, blanchissant, rubifiant et déjetant la noirceur des corps, et les philosophes l'ont nommée Eau permanente […] Alphidius a nommé cette eau attrempance ou mesure des sages. »

Vieville semble bien considérer son Tarot comme le Livre T des R + C.

Selon la Fama, en 1604, le Frère N.N. chef "du cercle intérieur" modifiant une partie des bâtiments de la fraternité découvre la porte cachée d'une crypte faite de sept côtés et de sept angles illuminée par un soleil artificiel, « un autre soleil qui avait apprit cela auprès du Soleil ». Au centre de la crypte, sur un autel circulaire est gravée une inscription : « j'ai fait de ce sépulcre un unique résumé de l'univers », puis quatre autres inscriptions accompagnées des quatre animaux évangéliques. En déplaçant l'autel on découvre le corps du Père Rosenkreutz parfaitement conservé et tenant dans sa main le Livre T. La Fama précise qu'il « est immédiatement après la Bible, notre trésor le plus grand que nous ne devons pas livrer à la critique du monde ». 

Viéville remplace la Maison-Dieu par la Foudre désignant ainsi non plus l’athanor-contenant mais le contenu avec la Toison d’or sous le chêne recueillant le mercure. “Note ce chesne” dira laconiquement Flamel dans son livre aux 3 X 7 feuillets : le "Livre des Figures Hiéroglyphiques". 

Il montre l’Etoile Flamboyante - symbole de l’esprit universel de la Nature - avec la carte XVII au dessus de la cathédrale au vitrail - lui aussi flamboyant - et au dessus du Temple aux 2 colonnes et au pavé mosaïque. Il fait ensuite glisser la traditionnelle fileuse sous le soleil dans la XVIIIè carte, cette fileuse aimante l’influx universel vu avec la Foudre et que revoie la lune montante au printemps. 

En XVIII, l’enfant du Soleil sur son cheval de bois indique que ce n’est plus que : "lusus puerorum" : jeu d’enfant et travail de femme d’obtenir la "Quinte Essence" symbolisée dans le 3è tarot : Le Monde et l'hermaphrodite auréolé revêtu de la cape aux 3 couleurs de l'Oeuvre.

Les métamorphose nécessaires à l’obtention de cet “enfant hermaphrodite du Soleil et de la Lune” en XXI est décrite par Flamel sensiblement avec la même symbolique : « Sur un champ vert trois ressuscitants, deux hommes et une femme entièrement blancs, deux anges au-dessus, et sur les anges, la figure du Sauveur, venant juger le monde, vêtu d'une robe parfaitement citrine blanche. J'ai donc fait ici peindre un corps, une âme et un esprit tous blancs comme s'ils ressuscitaient, pour te montrer que le soleil, la lune et le mercure sont ressuscités en cette opération, c'est-à-dire sont faits éléments de l'air et blanchis. » 

Ces métamorphoses de la matière et de l’esprit sont détaillées à l’extrême avec le quaternaire du tarot : dans les 4 X 4 Honneurs ou ENSEIGNEs et les 4 X 10 numérales (1+2+3+4). Il faut un livre pour évoquer les déclinaisons des mutations de ce Mercure des Philosophes, je les ai déjà beaucoup disséminées sur notre cher forum. Ici, ma surprise est toujours totale de voir qu’il y ait si peu d’hermétistes chez les tarologues, l’hermétisme étant pourtant le fondement de leur pratique : divination, magie cérémonielle... 

Pour conclure provisoirement (il y aurait encore tant de choses à dire !!) avec Vieville le Rose-Croix, je le crois protestant car il préfère le symbolisme mythologique au catholique. Je n'emploierai donc pas le terme de Lys-Croix comme pour Flamel.

Il place d'ailleurs le signe de l’or et du soleil au centre du Temple aux 2 colonnes payennes et au centre de la coiffure en “bouche de poisson” du Pape. Sa papesse entrouvre le Livre M de la Nature (MWMW), elle est la Vierge Noire qui s’illumine à la 3è rotae (des R + C), la triple coiffe le souligne de rouge.

Au Pendu qui reflète la structure du Tarot, Vieville fait faire le "4 de chiffre" qui était un symbole de la société très secrète appelée AGLA regroupant les "gens du papier". Au Mat, aux ailes dans les yeux, il fait porter un sabot (de cabaliste). Il a également placé les 2 couleurs du soufre et du mercure dans sa “marque” en 4 de Deniers... et deux Roses Rouges en 3 de Deniers.

Nous n'aurons plus de nouvelles de Vieville après 1664 quand les cartiers reçurent l'ordre de se grouper dans hôtel de Nemours sous la surveillance du fermier général. 

N. B. Je précise que le Flamel que j'ai évoqué ici n'est nullement le riche Flamel du moyen-âge, mais un alchimiste contemporain de Vieville." 

texte de : Charly Alverda

Je vous propose maintenant de consulter cet ouvrage au sujet du Tarot de Viéville :
(cliquez sur l'image du livre pour accéder au document)

"LES MYSTÈRES DU TAROT DE VIÉVILLE", de Patrick Coq

lundi 25 février 2013

LE MARTINISME


Le martinisme est un courant de pensée ésotérique, rattaché à la mystique judéo-chrétienne. Ce courant de pensée remonte à Joachim Martinès de Pasqually, fondateur en 1761, de l'Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l'Univers, puis à son secrétaire, Louis-Claude de Saint-Martin, dit "le philosophe inconnu", célèbre par son livre « Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers » (1782). Le mot "martinisme" joue donc habilement sur les noms propres "Martinès" et "Saint-Martin".

Histoire

C'est sous l'égide de Saint-Martin que le théosophe et occultiste Papus (Gérard Encausse) fonde l'"Ordre Martiniste" à la fin du xixe siècle siècle. Le martinisme est donc issu d'une rencontre entre la théosophie et la pensée de Saint-Martin.

L'historien de l'ésotérisme Antoine Faivre écrivait que « La Théosophie est la doctrine chrétienne des xvie et xviie siècles, tantôt populaire et mystique, tantôt érudite et philosophique, représentée par Paracelse, Boehme, Weigel, Fludd, etc., et qui se caractérise par la réflexion analogique ou l'illumination intérieure, l'expérience spirituelle, les notions : d'émanation, de chute originelle, d'androgynat, de sophia, de réintégration, d'arithmosophie, et surtout de double force ».

Certains chercheurs n'ont pas hésité à donner comme source de ce mouvement des confréries hermétiques du xie siècle. Robert Ambelain, notamment, cite l'« Ordre des Frères d'Orient » (qui aurait été fondé à Constantinople en 1090) et fait remonter la généalogie du martinisme aux courants gnostiques alexandrins des Iè au Vè siècle.


Classification

Le martinisme est un courant qui relève de l'ésotérisme judéo-chrétien. Il se divise en quatre mouvements qui restent liés par leur histoire et par un même objectif (qui est, selon les mots de Papus, « la réhabilitation de l'Homme ») :

le martinézisme, doctrine judéo-chrétienne et pratique théurgique fondées par J. Martinès de Pasqually en 1772

le saint-martinisme, une philosophie fondée par Louis-Claude de Saint-Martin (secrétaire de Martinès de Pasqually) en 1775

le willermozisme (et le Rite écossais rectifié), un rite maçonnique fondé par Jean-Baptiste Willermoz en 1778.

Selon Michele Moramarco, qui a etudié les relations entre Martinisme et Franc-maçonnerie on peut identifier aussi une forme de martinisme maçonnique dans les rituels "rose+croix" du Rite Philosophique Italien (1909)

l'Ordre martiniste, Ordre fondé par Papus en 1891 ; en dérivent l'Ordre Martiniste Synarchique, fondé par Victor Blanchard en 1920, l'Ordre Martiniste Traditionnel, fondé par Augustin Chaboseau et Victor-Émile Michelet en 1931.

Valentin Tomberg et la mystique d'Amour johannique


Les écrits de Valentin Tomberg, et cela même si l'homme est controversé, restent une source de méditation pour quiconque cherchent des paroles de sagesse, puisse -t-il en être de même pour vous...

"Valentin Tomberg (1900 - 1973), que Hans Urs von Balthasar a caractérisé comme un "penseur et un orant chrétien dont la pureté force l'admiration", est resté longtemps une source cachée d'inspiration pour ceux qui s'intéressent à la mystique et à la spiritualité.

Son nom n'a pas atteint le vaste public parce que dans son ouvrage le plus célèbre, « Méditations sur les 22 arcanes majeurs du Tarot » (Paris, Aubier), l'auteur s'efface complètement derrière sa création, en se présentant comme un "auteur qui a voulu conserver l'anonymat." De plus ces ouvrages ont été tardivement et discrètement publiées...

Partant de l'hermétisme français et russe, Tomberg finit par rejoindre le catholicisme en passant par l'anthroposophie. De même, il eut des rencontres intenses et fécondes avec l'Église chrétienne orientale et les religions asiatiques.

Le spectre peu commun de ces horizons a permis à son langage nourri d'images d'exprimer une rare ouverture et ampleur, tout en restant profondément ancré dans le christianisme...

Il aurait eu une expérience mystique forte à Bruges devant les reliques du Saint Sang qui a orienté la suite de sa vie et écrit...

Extrait de son livre "Méditations sur les 22 arcanes majeurs du Tarot" :


« "2", c'est le nombre de la réintégration de la conscience, enseignée par le Maître à Nicodème, par l'Eau virginale et par le Souffle de l'Esprit Saint.

"Deux" est tout cela, et il est plus encore. Non seulement le nombre "deux" n'est pas nécessairement "l'illégitime binaire" décrit par Louis Claude de Saint-Martin, mais encore il est le nombre de l'Amour ou la condition fondamentale de l'amour qu'il présuppose et postule nécessairement. Car l'amour est inconcevable sans l'Aimant et sans l'Aimé, sans MOI et TOI, sans l'Un et l'Autre. Si Dieu n'était qu'Un et s'il n'avait pas créé le Monde, il ne serait pas le Dieu révélé par le Maître, le Dieu dont Saint Jean dit : "Dieu est amour ; et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui" (I Jean IV, 16) Il ne le serait pas, parce qu'il n'aimerait personne sauf soi-même.

Comme c'est impossible au point de vue du Dieu d'Amour, Il est révélé à la conscience humaine comme la Trinité éternelle de l'Aimant qui aime, de l'Aimé qui aime et de leur Amour qui les aime : Père, Fils et Saint-Esprit. N'éprouvez-vous pas aussi un sentiment de malaise chaque fois que vous rencontrez une des formules énonçant les attributs supérieurs des Personnes de la Sainte Trinité, telle que "Pouvoir, Sagesse, Amour" ou "Être, Conscience, Béatitude" (Sat - Chit - Ananda) ? Pour moi, j'éprouvais toujours ce malaise, et ce n'est que plus tard, beaucoup d'années plus tard, que j'en ai compris la cause. C'est parce que Dieu est amour, qu'il n'admet aucune comparaison, qu'Il surpasse tout - et le pouvoir, et la sagesse et même l'être.

On peut, si l'on veut, parler du "pouvoir de l'amour" de "la sagesse de l'amour" et de la "vie de l'amour" pour faire une distinction entre les trois Personnes de la Sainte Trinité, mais on ne peut pas mettre sur le même plan l'amour d'un côté et de l'autre, sagesse, pouvoir, être. Car Dieu est amour et c'est l'amour, ce n'est que l'amour, qui attribue par sa présence la valeur au pouvoir, à la sagesse et à l'être même. Car l'être sans amour est dépourvu de toute valeur. Être sans amour ce serait la peine la plus épouvantable - c'est l'enfer même ! »

(Extrait de : « Méditations sur les 22 arcanes majeurs du Tarot », 1984, Éditions Aubier Montaigne, Paris, 1980, 1984, 1992

Valentin Tomberg a écrit d’autres ouvrages abordant le tarot :

« Le Mat itinérant. L'amour et ses symboles ». Une méditation chrétienne sur le Tarot. Edition établi et présentée par Friederike Migneco et Volker Zotz. Luxembourg: Kairos Edition 2007 [texte bilingue français/allemand]

« Christ and Sophia : anthroposophic meditations on the Old Testament, New Testament, and apocalypse », Great Barrington, MA: SteinerBooks, 2006.

« Degeneration und Regeneration der Rechtswissenschaft », Bonn : Bouvier, 1974

LE "MARTINISME" N’EST-IL PAS "FRANC-MAÇONNIQUE"?


Je profite de cet article sur le martinisme pour corriger enfin une confusion fréquente qui voudrait assimiler le martinisme à une forme de franc-maçonnerie...

Les adeptes du Martinisme insistent pour dire que le martinisme n’est pas une obédience maçonnique, il est selon eux "absolument indépendant de toute organisation maçonnique", même s’il entretient généralement d’excellentes relations avec les obédiences qui pratiquent une maçonnerie initiatique, c'est-à-dire empreinte de la pensée traditionnelle telle que je l’ai définie au début de cet article. Il y a incontestablement convergence de vues entre les maçons respectueux de la tradition mystique, et les martinistes, sachant que la double appartenance est fréquente.

De plus, j’ajoute ceci, pour répondre à certaines accusations qui ont traîné, et traînent encore de-ci de-là, le martinisme n’est en aucun cas une copie de la franc-maçonnerie, même si dans ses structures et son système hiérarchique, il semble s’en rapprocher.

En vérité, le martinisme entretient souvent des relations privilégiées avec le Régime Écossais Rectifié pour les raisons précédemment exposées, qui ont voulu que Saint-Martin et Willermoz fissent un bout de chemin ensemble ; la pensée martiniste survit également dans de nombreuses loges de cette maçonnerie particulière, pratiquée presque exclusivement en France et en Suisse.

De nos jours, la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra et, plus particulièrement, la loge « La France », sont animées par un esprit martiniste sans pour autant renier leur appartenance à l’Ordre des francs-maçons.

De même, certaines loges de la Grande Loge de Memphis-Misraïm, dont Robert Ambelain fut le réveilleur et le Grand-maître, est très proche de l’"Ordre Martiniste Initiatique", fondé en 1968 à l’initiative de frères maçons de cette obédience.

LES ORDRES MARTINISTES...

Le martinisme, courant de pensée se référant principalement à Louis-Claude de Saint-Martin ainsi qu'à Martines de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz a donné naissance à plusieurs ordres martinistes, dont le plus ancien fut fondé par Papus en 1891.

Origines

Les Ordres martinistes ne sont pas le prolongement direct de « l'Ordre des Chevaliers Maçons Elus-Cohen de l'Univers »: En effet, Martines de Pasqually partit pour Saint-Domingue en 1772, avant d’avoir terminé l'organisation de son ordre, et il n'en revint jamais.

Deux de ses disciples continuèrent à diffuser son enseignement, avec des sensibilités différentes : Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz.

Mais ni Saint-Martin, ni Willermoz n'ont fondé de société portant le nom d' « Ordre Martiniste ». On sait seulement que se constitua autour du premier un groupe auquel certaines lettres d'amis font allusion sous le nom de « Cercle des Intimes ». L'initiation transmise par Louis-Claude de Saint-Martin se serait perpétuée par deux filiations différentes jusqu’à la fin du xixe siècle, époque à laquelle deux hommes en auraient été dépositaires : le Dr Gérard Encausse, alias Papus, et Augustin Chaboseau. Papus et Chaboseau, tous deux étudiants en médecine, se rencontrent grâce à un ami commun : P. Gaëtan Leymarie, dont la librairie existe toujours à Paris, rue Saint-Jacques.

Création de l'Ordre martiniste en 1891

Papus et Chaboseau se transmettent ce qu'ils ont reçu et décident en 1891 de créer un ordre initiatique qu'ils appellent « Ordre Martiniste ». Sa revue, créée par Papus, estL'Initiation. L'ordre se dote d'un "Suprême Conseil", composé de 12 membres, qui élit Papus à la charge de Grand Maître.

L'OM connaît dès lors une extension rapide : Paris compte bientôt quatre loges, et l'ordre s'implante aussi à l'étranger. Le numéro d'avril 1898 de L'Initation signale qu'en 1897, il existait 40 loges dans le monde, et qu'en 1898 leur nombre atteignait 113.

Avec la guerre de 1914-1918, l'ordre tombe en sommeil. Plusieurs groupes martinistes indépendants voient le jour à cette époque, pour connaître un destin souvent éphémère. Il subsiste cependant de nos jours d'autres obédiences martinistes.

En 1931, sur le conseil de son fils, A. Chaboseau réunit les survivants du "Suprême Conseil" pour reprendre la situation en main. Ceux-ci l'élirent à la charge de "Grand Maître", qu'il laissa à Victor-Emile Michelet dès 1932. Le qualificatif "Traditionnel" est ajouté à cette époque au nom de l'ordre, pour signifier que l'ordre s’appuie sur les fondements véritables du martinisme, et en réaction au foisonnement des groupes indépendants.

l'OMS, l'OMT et l'AMORC

Comme son père Harvey Spencer Lewis, Ralph Maxwell Lewis est consacré SI IV pour l'OMS (Ordre Martiniste et Synarchique) en 1936 par Victor Blanchard. À cette époque Jeanne Guesdon est encore membre de l'OMS.

En 1939, Ralph Maxwell Lewis, "Imperator" de l'"Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix" est chargé par le "Suprême Conseil" d'installer l'"Ordre Martiniste Traditionnel" aux États-Unis.

Quand plus tard l'AMORC se réorganise dans l'Europe d'après-guerre, il est décidé que l'OMT exercera ses activités en son sein. Depuis cette époque, l'Imperator de l'AMORC est aussi "Souverain Grand Maître" de l'OMT, et pareillement le "Grand Maître" de la juridiction française de l'AMORC assume en même temps la fonction de "Grand Maître" de l'OMT.

Ordres Martinistes

Le martinisme est aujourd'hui véhiculé par plusieurs ordres exprimant des sensibilités parfois diverses mais toujours inscrits dans la tradition d'origine et cultivant des idéaux communs.

L'ordre martiniste traditionnel est proche de l'ordre rosicrucien AMORC. Quelques-uns des autres ordres martinistes (malgré le dénie) sont assez proches de la franc-maçonnerie, en particulier de celle qui pratique les Rites maçonniques égyptiens ou le Rite écossais rectifié. D'autres sont plus indépendants.

L’Ordre Martiniste Traditionnel (OMT) est un Ordre Martiniste parrainé par l’Ordre de la Rose-Croix AMORC depuis 1946, suite à une réunion de la FUDOSI (regroupant les organisations traditionnelles et initiatiques au plan international)(source Lumière Martiniste, feuillet d'information grand public).

Il a commencé à se développer en France au début des années 1960 et est devenu l’Ordre Martiniste le plus important du point de vue du nombre de membres.

L’Ordre possède une revue annuelle Pantacle et compterait environ 6 000 membres dans sa juridiction francophone.

BIBLIOGRAPHIE :

Martinisme :

Papus, « Martinésisme, willermosisme, martinisme et franc-maçonnerie », Paris, Chamuel, 1899.

Teder (Ch. Détré), « Rituel de l'Ordre martiniste » (1913), in Œuvres Complémentaires de Louis-Claude de Saint-Martin, Editions Déméter, 1985, 176 p.

Robert Amadou, « Louis-Claude de Saint-Martin et le martinisme », Paris, Editions du Griffon d'or, 1946.

Robert Ambelain, « Le Martinisme, histoire et doctrine* [1946], suivi de Le Martinisme contemporain et ses véritables origines »  [1948], Signatura, 2011

Robert Amadou, « L'Ordre martiniste au temps de Papus », Paris, Cariscript, 1988.

Jean-Marc Vivenza, « Le Martinisme, l'enseignement secret des Maîtres, Martinès de Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz, fondateur du Régime Écossais Rectifié », Le Mercure Dauphinois, 2006.

Michele Moramarco, « Nuova Enciclopedia Massonica », Foggia, Bastogi, 1997.

Stanislas de Guaita, « La Fraternité Martiniste et l'Ordre de la Rose-Croix » tiré de l'ouvrage "Essai de Sciences Maudites" (1886-1897).

Willermozisme

Patrice Béghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup, Bruno Thévenon, « Dictionnaire historique de Lyon », Stéphane Bachès, 2009, Lyon

Jean-Marc Vivenza, « Les élus coëns et le Régime Ecossais Rectifié : de l'influence de la doctrine de Martinès de Pasqually sur Jean-Baptiste Willermoz », Le Mercure Dauphinois, 2010.

Martinésisme :

Martinès de Pasqually, « Traité sur la réintégration des êtres dans leur première propriété, vertu et puissance spirituelle divine » (1770-1772) (d'après le manuscrit de Louis-Claude de Saint-Martin), Diffusion Rosicrucienne, collection martiniste, 1999, édition présentée par Robert Amadou.

Robert Amadou, « Rituels d'initiation des Élus Coën », in L'Autre Monde, n° 68, fév. 1983

Franz von Baader, « Les Enseignements secrets de Martinès de Pasqually », précédé d'une Notice sur le martinézisme et le martinisme, Bibliothèque Chacornac, 1900 ; rééd. Robert Dumas, 1976 ; Editions Télétès, 2004.

Gilles Le Pape, « Les écritures magiques, Aux sources du Registre des 2400 noms d'anges et d'archanges de Martinès de Pasqually », Arché Edidit, 2006.

G. Van Rijnberk, « Un thaumaturge au XVIIIe s. : Martines de Pasqually. Sa vie, son œuvre, son ordre », t. I, Paris, Alcan, 1935 ; t. II, Lyon, Derain-Raclet, 1938

Voir aussi ; Articles connexes sur Wikipédia :
Rite de Memphis-Misraïm

Vous pouves aussi consulter quelques ouvrages en format "pdf", ici :
(en cliquant sur les images des livres)

"LA LUMIÈRE MARTINISTE"

LE MARTINISME HISTOIRE ET DOCTRINE, Robert Ambelain

LE MARTINISME CONTREMPORAIN ET SES VÉRITABLES ORIGINES, Robert Ambelain