Carl Gustav Jung est un médecin, psychiatre, psychologue et essayiste suisse né le 26 juillet 1875 à Kesswil, canton de Thurgovie, et mort le 6 juin 1961 à Küsnacht, canton de Zurich, en Suisse alémanique.
Penseur influent, il est l'auteur de nombreux ouvrages de psychologie et de psychosociologie en langue allemande traduits en de nombreuses autres langues. Il est le fondateur du courant de la psychologie analytique.
Son œuvre a été d'abord liée à la psychanalyse, de Sigmund Freud, dont il fut l’un des premiers collaborateurs, et dont il se sépara par la suite pour des motifs personnels, et en raison de divergences théoriques.
Carl Gustav Jung a été un pionnier de la psychologie des profondeurs en soulignant le lien existant entre la structure de la psyché (c'est-à-dire l'"âme", dans le vocabulaire jungien) et ses productions et manifestations culturelles. Il a introduit dans sa méthode des notions de sciences humaines puisées dans des champs de connaissance aussi divers que l'anthropologie, l'alchimie, l'étude des rêves, la mythologie et la religion, ce qui lui a permis d'appréhender la "réalité de l'âme". Si Jung n'a pas été le premier à étudier les rêves, ses contributions dans ce domaine ont été déterminantes.
Auteur prolifique, il mêle réflexions métapsychologiques et pratiques à propos de la cure analytique. Jung a consacré sa vie à la pratique clinique ainsi qu'à l'élaboration des théories psychologiques, mais a aussi exploré d'autres domaines des humanités : depuis l'étude comparative des religions, la philosophie et la sociologie jusqu'à la critique de l'art et de la littérature. On lui doit les concepts d'« archétype », d'"inconscient collectif" et de "synchronicité".
Père fondateur d'une psychologie des cultures, il a rassemblé autour de ses travaux des générations de thérapeutes, d'analystes et d'artistes. En dépit de la polémique concernant ses relations avec le régime nazi (son rôle d'agent secret des Alliés est longtemps resté méconnu), Jung a profondément marqué les sciences humaines au xxe siècle.
L'inconscient collectif et la contribution de Honneger
Sous l'autorité de Jung depuis son entrée au Burghözli en 1909, un jeune psychiatre en formation, Johann Jakob Honneger (1885–1911), se passionne pour la psychanalyse.
Jung lui donne alors à étudier le cas d'Emil Schwyzer, pensionnaire de la clinique zurichoise depuis 1901.
Un délire de ce patient intéresse particulièrement Jung : Schwyzer y voit le soleil comme un astre sexué, possédant un phallus dont le mouvement érotique produit le vent. Très vite, Honneger et Jung y reconnaissent l'expression de mythes inconnus du patient, comme celui lié à la liturgie de Mithra.
Un rêve de Jung l'oriente alors vers le concept d'archétype, qu'il développe formellement à partir de 1911, dans l'ouvrage fondateur de la psychologie analytique, « Métamorphoses et symboles de la libido » qui traite des images mythologiques dans les rêves et les hallucinations.
Jung demande à Honneger de recueillir le maximum de renseignements cliniques de ce patient, dont l'observation est ensuite utilisée par le jeune assistant pour rédiger sa thèse de psychiatrie. Entrevoyant l'importance de ses découvertes, Jung impose à Honneger un rythme de travail extrême, à tel point que l'étudiant sera plus tard considéré par certains critiques de Jung comme le véritable découvreur du concept d'inconscient collectif : l'appropriation des travaux d'Honneger par Jung est par exemple un thème central dans la rhétorique de Richard Noll, son principal détracteur.
Cependant, la théorie culturelle de Jung a précédé les conclusions d'Honneger puisqu'elle est déjà formulée dans une lettre adressée à Freud, dans laquelle Jung résume sa position en ces termes : « Nous ne résoudrons pas le fond de la névrose et de la psychose sans la mythologie et l'histoire des civilisations »...
En 1910, dans une conférence intitulée « La formation du délire paranoïaque » donnée à Nuremberg, Honneger expose ses propres conclusions relatives au cas de Schwyzer. Mais souffrant de dépression, il se suicide l'année suivante, en mars 1911 et Jung récupère les notes de son élève pour terminer son travail.
Ces documents ayant par la suite disparu, Jung a été accusé d'avoir repris à son propre compte le travail de Honneger. C'est cependant lui qui avait orienté son jeune assistant vers des ouvrages lui permettant de comprendre le "cas Schwyzer". Pour Deirdre Bair, « il n'existe aucun document permettant d'élucider cette question, et l'on en est réduit aux conjectures ». Il reste certain que Jung s'est penché sur le cas d'Emil Schwyzer dès 1901.
Rupture avec Freud
Une série de conférences aux États-Unis, en 1913, à la Fordham University, intitulée « La Théorie psychanalytique », et le livre qu'en tire Jung, « Métamorphose et symboles de la libido », envenime sérieusement la situation. Jung profite de l'occasion pour expliquer en quoi ses idées diffèrent de celles de Freud. Il se grandit en prétendant avoir analysé aux États-Unis des patients noirs et même avoir rendu visite au président Theodore Roosevelt.
À cela s'ajoute une fausse lettre écrite par Ernest Jones, prétendument envoyée par Jung à son père au Pays de Galles, qui discrédite l'autorité de Freud. Cela motive son bannissement officiel dès le mois d'août 1912. Dès lors, le mouvement psychanalytique se divise en deux obédiences : les partisans de Freud d'un côté, avec Karl Abraham (qui écrit une sévère critique de Jung) et Ernest Jones en défenseurs de l'orthodoxie freudienne et ceux de Jung de l'autre (dont Leonhard Seif, Franz Riklin, Johan Van Ophuijsen, Alphonse Maeder, entre autres).
En 1913, comme pour officialiser cette rupture, Jung présente succinctement au XVIIe Congrès international de médecine organisé à Londres, en août, sa nouvelle approche qu'il nomme la "psychologie analytique", la distinguant de la psychanalyse de Freud et de la psychologie des profondeurs d'Eugène Bleuler. Jung y suggère de libérer la théorie psychanalytique de son « point de vue exclusivement sexuel » en se focalisant sur un nouveau point de vue énergétique se fondant sur celui développé par Henri Bergson. Jung y fait ensuite une intervention intitulée « Contribution au problème des types psychologiques ».
Cette nouvelle typologie de la personnalité est une autre façon de se démarquer de Freud. Néanmoins, Jung est réélu pour un second mandat en tant que président de l'Association psychanalytique internationale. Cette conférence porte un coup fatal à la collaboration de Jung avec Freud, qui y voit un geste de trahison. Ainsi, la lettre de Freud du 27 octobre 1913 entérine la rupture : « Votre allégation, comme quoi, je traiterais mes partisans comme des patients est évidemment fausse (…) Par conséquent, je propose que nous abandonnions nos relations personnelles complètement. »
Les deux hommes continuent néanmoins de correspondre toute l'année 1913, mais sous le style formel de ces échanges, l'amertume est manifeste. Jung préside toujours l'Association psychanalytique internationale, et coordonne les Jahrbuch. Dans ses écrits ultérieurs, Freud considère que Jung a voulu le supplanter comme créateur de la psychanalyse. Par la suite, Jung refuse de reconnaître l'importance de la psychanalyse de Freud dans sa propre conception.
Les deux hommes ne se remettent jamais de cette rupture qui clôt une amitié certaine. Elle marque surtout deux visions différentes mais complémentaires, dans une certaine mesure, de la psyché. La cause du conflit entre Freud et Jung conditionne bien plus que l'histoire des relations entre la psychanalyse et la psychologie analytique : elle exerce une profonde influence également sur les raisons du rejet médiatique et institutionnel des théories de Jung.
Confrontation à l'inconscient
Saint Michel combattant le dragon par Étienne Chevalier
« Notre âme, comme notre corps, est composée d'éléments qui tous ont déjà existé dans la lignée des ancêtres. Le « nouveau » dans l'âme individuelle est une recombinaison, variée à l'infini, de composantes extrêmement anciennes »
— C. G. Jung
L'année 1913 marque pour Jung un retour sur lui-même : la rupture avec Freud le confronte personnellement à une désorientation totale, à « l'impression de faire un terrible saut dans l'inconnu ». À cette époque, Jung dit faire face à l'inconscient, et c'est à ce moment qu'il prend « conscience de [s]on Soi/la totalité de [lui]-même, au travers de [s]on travail », confrontation qui ne s'achève qu'en 1919.
Pour la biographe Deirdre Bair, « Tout se passa à travers des visions et des rêves qu'il était incapable de comprendre ».
L'interprétation de certains rêves lui donne l'idée, pour ne pas perdre sa raison, de revivre ses expériences de petit garçon afin d'en retrouver les émotions. Jung dit en effet n'avoir aucune capacité, lors de cette période, de se comporter en adulte et de mener des activités de recherche. Il démissionne alors de son poste à l'université de Zurich et se tourne vers sa famille pour savoir s'il est encore normal et pour reprendre pied dans la réalité. Il commence alors à "écrire ses rêves" et à construire des petits villages avec des éléments naturels afin de donner forme à ses visions, activités ponctuées par la visite de patients qu'il a le plus grand mal à écouter.« J'étais sur la voie qui me menait vers mon mythe » explique-t-il plus tard. En secret, il rédige spontanément (en trois nuits), dans un événement extatique, « Les Sept sermons aux morts », son écrit le plus mystique dans lequel il se perçoit sous les traits du gnostique Basilide, créateur de l'abraxas.
Néanmoins, la dimension hermétique de ce livre et ses conditions de rédaction, poussent Jung à ne pas en parler, craignant d'être accusé de se considérer comme un visionnaire.
Ses expériences de régression sont compilées dans « Le Livre noir », intitulé peu après « Le Livre rouge », qu'il garde à sa discrétion seule et qui n'est publié qu'en 2009. Sa façon de diriger la cure analytique s'en ressent ; il cherche alors chez ses patients les éléments de leurs "mythes personnels" et donne là les premiers signes d'une future théorie cohérente et distincte de celle de Freud et qu'il appelle à cette époque alternativement "psychologie analytique" ou "psychologie prospective".
Durant cette période de retour sur lui, Jung continue néanmoins de travailler à la rédaction de « Types psychologiques » (que de nombreux spécialistes considèrent comme sa plus importante contribution au mouvement psychanalytique). Puis il démissionne de son poste aux Jahrbuch, s'accordant ainsi du temps supplémentaire à sa recherche intérieure. Celle-ci passe par une méthode inventée par Jung, qui consiste à se laisser aller aux fantasmes et visions diurnes, ce qu'il nomme l'"imagination active" et qu'il désigne d'abord comme "fonction transcendante". Ces dernières sont également consignées dans « Le Livre rouge », qui marque aussi le début de son intérêt pour le gnosticisme. Il y narre notamment la confrontation avec trois personnages imaginaires représentant des complexes inconscients projetés : Salomé, une femme, et Elie puis Philémon. Des recherches avec Toni Wolff naissent les concepts d'"anima", d'"animus" et de "persona" également.
En 1914, Jung donne une série de conférences au Bedford College de Londres, puis participe à un congrès médical à Aberdeen, en Écosse. Il doit ensuite rentrer rapidement en Suisse, suite à la déclaration de guerre. Il occupe alors un poste de capitaine dans l'armée, puis, de 1917 à 1918, il est commandant du camp de prisonniers de guerre anglais internés à Château-d'Œx. Il exerce ensuite à Mürren.
Fondation de la psychologie analytique
Peu à peu, Jung constitue autour de lui et de sa femme Emma Jung un cercle de partisans, des couples la plupart du temps : les Maeder, les Riklin, les Sigg-Böddinghaus, Maria Moltzer et Oskar Pfister ainsi que des médecins du Burghölzli. Eugène Bleuler, réticent à l'égard de Freud, rejoint Jung et organise alors des réunions de psychologie. Jung reçoit à cette époque plusieurs fois, chez lui, le physicien Albert Einstein alors à Zurich.
Parallèlement, sa clientèle augmente considérablement et il en tire de formidables revenus. Nombre de ses clients fortunés sont alors américains. Il est ainsi l'analyste de David et Edith Eder qui deviennent ses premiers traducteurs en anglais et il fait la connaissance d'Edith Rockefeller qui le consulte pour une dépression nerveuse. Ses patients comptent nombre de célébrités de l'époque également : la directrice de l'école de danse Suzanne Perrottet, le maître de ballet de l'opéra de Berlin Max Pfister. À cette époque, Zurich devient le berceau de la psychologie analytique.
Jung et ses partisans fondent donc le Club psychologique de Zurich qui réunit des personnes différentes, devenant, sous le succès des ralliements, l'Association de psychologie analytique et dont Jung est le premier président en 1916. Cette association a pour but avoué de promouvoir les théories de Jung et rassemble la plupart des analystes zurichois qui ont rompu avec Freud, parmi lesquels : Franz Riklin, Alphonse Maeder, Adolf Keller, Emma Jung, Toni Wolff, Hans Trüb (médecin et psychanalyste du Burghölzli qui devient le psychanalyste d'Emma Jung) et Herbert Oczeret. Jung réunit également chez lui des sommités du monde intellectuel comme le chimiste Eduard Fierz, ainsi que le mystique juif Siegmund Hurwitz également.
Le Club de psychologie analytique organise dès 1916 des conférences ; la première est intitulée « L'individu et la société » et a pour but de présenter et de vulgariser les thèses de Jung. La question des types psychologiques entraîne des dissidences au sein du club cependant. Jung travaille alors lui-même avec l'analyste bâlois Hans Schmid qui l'aide à définir les fonctions psychiques mais leur collaboration cesse en 1915, après une brouille théorique relative à l'individuation et surtout aux types supplémentaires ajoutés par Jung du "conscient" et de l'"inconscient". Ce dernier reprend ensuite sa correspondance avec Sabina Spielrein devenue psychanalyste et restée fidèle à Freud, s'axant principalement sur le thème des types psychologiques. Il publie par la suite son ouvrage de synthèse en la matière, « Types psychologiques », en 1921 dans lequel il y définit plusieurs concepts capitaux de sa théorie : les types introvertis et extravertis d'une part, les quatre fonctions psychiques de l'autre, le modèle aboutissant donc à huit types psychologiques possibles. Freud lit alors l'ouvrage et le déclare comme étant "le travail d'un snob et d'un mystique". Pour Jung, cette approche pose les fondements de son cadre théorique, le poussant vers la philosophie, la théologie, l'art, la chiromancie, l'astrologie.
Par ailleurs, il offre, selon lui un « système de comparaison et d'orientation rendant possible (…) une psychologie critique ». À ce moment-là de sa vie, il est considéré comme le seul théoricien analytique capable de rivaliser avec Freud.
Jung a comme patient entre 1921 et 1922, l'écrivain Hermann Hesse qui vient le consulter pour dépression nerveuse. En effet, la mort de son père et la maladie de sa femme et de son fils le poussent à décompenser. Il consulte d'abord chez J. B. Lang, élève de Jung, en 1916, puis est pris en charge par le psychiatre suisse. Ils se brouillent en 1934 quant à la notion de sublimation, Hesse étant du même avis que Freud.
Un autre écrivain s'adresse également à Jung à cette époque : l'Irlandais James Joyce, mais le psychiatre ne peut le recevoir et l'envoie donc vers un confrère. Dépité, Joyce retourne en Irlande sans avoir rencontré Jung, trop occupé. L'auteur se moque de la psychanalyse de Jung, en mémoire de cet événement, dans son roman Finnegans Wake.
Autour de Jung, trois femmes dont deux Américaines (Kristine Mann et Eleanor Bertine) et une Anglaise (Mary Esther Harding, qui fonde en 1922 le Club Psychanalytique de Londres) deviennent les principales militantes de son œuvre aux États-Unis et en Angleterre. Par ailleurs, le docteur Helton Godwin Baynes traduit les œuvres de Jung en langue anglaise. Au Club de Zurich, certaines dissensions aboutissent à des départs. Oskar Pfister notamment dénonce le culte de la personnalité autour de Jung. Face à ces critiques, Jung, Emma et Toni Wolff quittent un temps le Club pour n'y revenir qu'en 1924. Cette année, Jung, que l'on surnomme alors « le sage de Zurich », fait la connaissance de l'excentrique Comte Hermann von Keyserling, fondateur de la "Maison de la sagesse" ("Schule der Weisheit") à Darmstadt, où il est souvent invité.
« Certes, l'alchimie a aussi ce côté, et c'est dans cet aspect qu'elle constitua les débuts tâtonnants de la chimie exacte. Mais l'alchimie a aussi un côté vie de l'esprit qu'il faut se garder de sous-estimer, un côté psychologique dont on est loin d'avoir tiré tout ce que l'on peut tirer »
— C. G. Jung
La psychothérapie jungienne
La théorie jungienne redéfinit tous les composants de la cure psychanalytique. Henri Ellenberger signale que Jung était « un psychothérapeute exceptionnellement habile qui savait adapter le traitement à la personnalité et aux besoins de chacun de ses patients ».
Se démarquant de celle de Freud ("réductive" selon Jung) elle est selon lui un « processus dialectique entre deux individus reposant sur le concept de "compensation psychique" », ou Auseinandersetzung ("confrontation" en français).
Selon Christian Delacampagne, le succès de la théorie de Jung, auprès du public, est dû au fait que celle-ci centre moins la prédominance du sexualisme au sein de l'explication psychique ; ce faisant, elle soulève moins de résistance. De fait, « La complexité de la psychanalyse jungienne tient au fait que toutes les instances psychiques sont en étroites relations les unes avec les autres. Décrire isolément un concept donne de lui une vision forcément partielle car ne tenant compte ni des rapports dynamiques avec les autres instances ni de l'ensemble du système psychique. Tout est lié, tout est en mouvement » explique en effet Elizabeth Leblanc.
Ainsi, l'analyse psychologique met en jeu des forces inconscientes qui en font un "processus initiatique", le seul « encore vivant et pratiquement appliqué dans la sphère de la culture occidentale » selon Jung.
Le transfert est conseillé, et même recherché, car il permet de projeter sur l'analyste le mythe personnel du sujet. Enfin, la cure suit des phases archétypiques, déjà illustrées par l'alchimie ou les religions anciennes sous forme de paraboles qui conduisent le patient vers la recherche de sa propre totalité. « Le but du processus thérapeutique est de permettre d'assimiler les éléments inconscients de sa psyché et réussir ainsi finalement l'intégration de sa personnalité et la guérison de sa dissociation névrotique ».
Une œuvre mystique ou scientifique ?
La critique selon laquelle la pensée de Jung est spiritualiste, voire mystique, a été émise dès les débuts de la psychologie analytique. Franck C. Ferrier en examine les conditions de production et le développement historique dans les écrits de Jung. Il y voit l'exploration d'une "troisième hypothèse", ni matérialiste ni spiritualiste, mais relevant du paradoxe épistémologique. Ferrier considère le postulat de la psyché en sympathie avec le cosmos, comme la pierre de touche du système théorique jungien.
Les références à la religion sont omniprésentes dans son œuvre, Jung s'aventurant souvent dans le domaine de la morale, de la théologie et même de la métaphysique, bien qu'il en refuse l'usage en psychologie. En fait, Jung aborde souvent lui-même la question de la mystique, celle de Maître Eckhart en particulier, dont il dit qu'il est « le plus grand penseur de [son] époque ».
Dans l'ouvrage Jung et la mystique, Steve Melanson explique en effet que « c'est spécifiquement dans l'héritage d'Eckhart que Jung considère la possibilité d'un renouvellement de l'attitude religieuse en Occident ». Car, pour Jung, un tel vécu de l'expérience mystique permet à l'individu de trouver son sens intérieur et, ainsi, de développer une attitude religieuse propre à lui, une plus grande force d'âme et une autonomie spirituelle. « Et de même s'est fortifié [pour Jung] l'idée que par l'addition d'un nombre suffisant de consciences ayant développé un tel sens propre, pourrait être évitées de nouvelles folies collectives modernes ».
Enfin, Jung s'est focalisé dès ses premiers travaux (avec sa thèse de psychiatrie) sur le paranormal. Son concept de synchronicité est le point culminant de cet intérêt ésotérique, ce qui a contribué à le décrédibiliser au sein de la communauté des psychanalystes et des psychiatres.
Une théorie pragmatique
Pourtant Jung se livre aussi à des réflexions épistémologiques sur la portée de l'investigation de l'esprit en tant qu'objet dans les sciences humaines. Dès ses débuts, Jung se dit empirique et pragmatique, se revendiquant de la méthode du philosophe américainWilliam James.
Jung part toujours en effet des faits pathologiques, que son expérience de clinicien au Burghözli lui a permis d'affiner ; ses théories sont pour lui « des propositions et des essais visant à formuler une psychologie scientifique nouvelle, fondée en premier lieu sur l'expérience directe acquise sur l'homme même ». La réalité psychique n'est « pas moins réelle que le domaine physique [et] a sa propre structure, est soumise à ses propres lois ».
En d'autres termes, la pensée de Jung est panpsychique. Sa vision de la libido, en particulier, est éclairante : il s'agit pour lui d'une force créée par une polarité psychique (conscient/inconscient), « une énergie psychique sans pulsion sexuelle : une libido originaire qui peut être sexualisée ou désexualisée ».
En ne fondant pas sa théorie sur l'origine sexuelle du psychique, Jung se démarque de la psychanalyse, pour aboutir à une méthode davantage clinique. Les tests d'associations d'idées constituent un apport en psychologie expérimentale également alors que le cadre psychothérapeutique qu'il édifie influence les psychothérapies d'inspiration psychanalytique.
Le créateur de concepts
Jung poursuit, tout au long de sa vie, une analyse de la psychologie humaine qui le fait s'intéresser à la psyché de la personne normale avant de s'intéresser à la psyché de la personne névrotique ou psychotique. Bien qu'objets de polémiques, les concepts qu'il a développés ont ouvert une autre voie à la psychanalyse de Freud, et à la psychologie clinique également.
Denis de Rougemont dit ainsi : « Il est possible que le plus grand théologien et le plus grand psychologue de ce siècle, jusqu'ici, soient deux suisses : Karl Barth et Carl Gustav Jung ».
Cette recherche a permis à Jung de multiplier les outils d'analyse et les concepts permettant d'appréhender les manifestations psychiques. Cette différence fondamentale dans l'approche lui permet de mettre en lumière des concepts psychologiques majeurs dits "transpersonnels" car intégrés au "psychisme objectif" (celui collectif) composant la "réalité psychologique", notion centrale de sa pensée.
Parmi cette réalité objective préexistent avant tout des structures mentales innées, les "archétypes psychologiques", déterminés à partir de ses études de la mythologie, de l'alchimie et à partir d'un rapprochement entre pensée orientale (le yoga Kundalinî notamment) et théorie psychanalytique. Le concept d'"inconscient" diverge de celui de Freud et Jung y adjoint une partie collective, qu'il nomme l'"inconscient collectif".
Il déplace le fondement de la dualité pulsionnelle freudienne sur une double dualité, qu'il considère comme archétypique : la dualité créativité/destructivité et la dualité instinctivité/spiritualité, ces deux dualités n'étant pas superposables (il y a, par exemple, des dynamiques spirituelles destructrices). Jung voit dans le mythe et dans les rêves des manifestations de cet inconscient collectif enfin.
Au niveau personnel, le "psychisme subjectif", la psyché se compose de différentes instances jouant un rôle régulateur et dynamique, parmi lesquels : l'ombre, qui est la somme de tous les refoulements subconscients, liée aux fonctions psychiques inférieures, au caractère, et à tout ce que l'éducation et la socialisation ont repoussé dans l'inconscient personnel ; la Persona, fonction sociale d'adaptation sociale de l'individu ; les concepts sexués d'animus (pour la femme) et d'anima (pour l'homme) ont permis de comprendre la fonction de régulation et de communication de l'être avec le psychisme de l'inconscient, notamment à travers le rêve.
Les concepts de "Soi" et d'"individuation" donnent un sens et une orientation à la démarche jungienne. Enfin, le concept de types psychologiques à travers les notions d'introversion et d'extraversion et des quatre fonctions permet une description de la personnalité consciente et inconsciente...
Jung développe par ailleurs des concepts décrivant des réalités psychiques touchant à d'autres disciplines comme celui de synchronicité, qui touche au domaine de la physique. D'autres concepts, étant davantage des outils d'analyse, font de la psychologie de Jung une démarche également clinique. Jung définit ainsi les complexes, l'état psychique d'inflation, caractéristique de la psychose, la personnalité mana, les états modifiés de conscience comme le somnambulisme ou cryptomnésie, le transfert recherché, l'imagination active et le dialogue intérieur pour la psychothérapie.
Une théorie générale de la personnalité...
Les "quatre fonctions" de la personnalité selon la typologie jungienne
Les "types psychologiques" sont la contribution majeure de la psychologie analytique aux sciences humaines et en particulier à la caractérologie naissante lorsque Jung les a développés, dès 1913, lorsqu'il en expose les linéaments lors du congrès psychanalytique de Munich. Débordant le cadre expérimental pour développer une théorie de la personnalité prolongeant la classification traditionnelle, Jung met ensuite en évidence, dans son ouvrage fondateur Types psychologiques, en 1921, une structure schématique de la personnalité fondée sur des fonctions.
Jung distingue en effet "quatre fonctions psychiques" : le type Pensée, le type Intuition, le type Sentiment et le type Sensation, que chacun possède à des degrés différents. À cette première grille de lecture, Jung y sur-ordonne deux « attitudes » qui déterminent l'utilisation faite par le psychisme du sujet de sa libido (énergie psychique). Ainsi, l'extraversion est le mouvement de la libido vers l'extérieur, qui se réfère à l'objet alors que l'introversion est elle le mouvement de la libido tournée vers l'intérieur et qui se tourne vers le sujet.
Par exemple, l'extraversion domine dans l'hystérie alors que dans la démence précoce c'est l'introversion. Ainsi Jung dessine, à partir de ces quatre fonctions et de ces deux attitudes, et selon leur degré de conscience et de dominance sur le sujet (il existe ainsi une fonction principale, dite "différenciée"), un certain nombre de types psychologiques expliquant notamment les conflits de personnes ou les passions personnelles (un type Pensée a une dominance pour le scientifique par exemple).
Ce modèle eut une forte influence sur les théories managériales, à travers le « Myers Briggs Type Indicator » et la vision socionique, mais aussi en développement personnel, en graphologie et même en astrologie.
Cependant, son utilité n'est pas psychométrique. Sa prise en compte dans la cure analytique, enfin, est une étape nécessaire dans la connaissance du "monde intérieur" du sujet.
Jung et l'alchimie
L'alchimie, psychologie avant l'heure
Dès les années 1920 Jung découvre, grâce à son ami le sinologue allemand Richard Wilhelm et sa traduction du texte ancien du Traité du Mystère de la Fleur d'Or (Das Geheimnis der goldenen Blüte), la riche tradition de l'"alchimie des souffles" et l'alchimie des taoïstes. Ses recherches l'emmènent ensuite vers la tradition alchimique européenne, de l'Antiquité tardive jusqu'à la Renaissance. Il y découvre un fondement à sa psychologie analytique : « Il nous apparaît aujourd'hui avec évidence que ce serait une impardonnable erreur de ne voir dans le courant de pensée alchimique que des opérations de cornues et de fourneaux. Certes, l'alchimie a aussi ce côté, et c'est dans cet aspect qu'elle constitua les débuts tâtonnants de la chimie exacte. Mais l'alchimie a aussi un côté vie de l'esprit qu'il faut se garder de sous-estimer, un côté psychologique dont on est loin d'avoir tiré tout ce que l'on peut tirer : il existait une "philosophie alchimique", précurseur titubant de la psychologie la plus moderne. Le secret de cette philosophie alchimique, et sa clé ignorée pendant des siècles, c'est précisément le fait, l'existence de la fonction transcendante, de la métamorphose de la personnalité, grâce au mélange et à la synthèse de ses facteurs nobles et de ses constituants grossiers, de l'alliage des fonctions différenciées et de celles qui ne le sont pas, en bref, des épousailles, dans l'être, de son conscient et de son inconscient », une mise en image et une parabole de l'évolution de l'individu sur le chemin de l'individuation : « J'ai vu très rapidement que la psychologie analytique se recoupait singulièrement avec l'alchimie. Les expériences des alchimistes étaient mes expériences et leur monde était, en un certain sens, mon monde. Pour moi, cela fut naturellement une découverte idéale, puisque, ainsi, j'avais trouvé le pendant historique de la psychologie de l'inconscient. Celle-ci reposait dorénavant sur une base historique. »
JUNG ET PARACELSE
Jung voit dans la figure de Paracelse un psychologue d'avant la psychologie, un medicine-man lui ressemblant en bien des points. Paracelse l'initie par ailleurs au rapport ténu qui existe entre l'alchimie et la religion comme problème moral de l'âme. Ses recherches sur l'alchimie aboutissent à plusieurs ouvrages : « Synchronicité et Paracelsica » (1929), « Psychologie et alchimie » (1944), « Psychologie du transfert » (1946) et enfin les deux tomes de « Mysterium conjunctionis » (1955 et 1956).
C'est à partir des œuvres alchimiques du Moyen Âge et de la Renaissance (les traités de Michael Maier comme « Atalante fugens », ceux de Johann Valentin Andreae, « Les Noces Chymiques » de Christian Rosenkreutz, et les écrits de Gérard Dorn, surtout) mais aussi des époques antérieures (Pythagore et le célèbre traité fondateur de la « Table d'émeraude » attribuée à Hermès Trismégiste) et contemporaines (Fulcanelli notamment) que Jung trouve la justification de ses modèles psychologiques.
C'est à partir des œuvres alchimiques du Moyen Âge et de la Renaissance (les traités de Michael Maier comme « Atalante fugens », ceux de Johann Valentin Andreae, « Les Noces Chymiques » de Christian Rosenkreutz, et les écrits de Gérard Dorn, surtout) mais aussi des époques antérieures (Pythagore et le célèbre traité fondateur de la « Table d'émeraude » attribuée à Hermès Trismégiste) et contemporaines (Fulcanelli notamment) que Jung trouve la justification de ses modèles psychologiques.
En effet, il voit dans la recherche de la "lapis philosophicae", la "Pierre philosophale", la métaphore du cheminement de l'esprit vers davantage d'équilibre, vers une réalisation pleine et complète, le "Soi". Pour Jung toute la recherche de la transmutation du plomb en or n'a servi, au cours de l'histoire, qu'à représenter ce besoin psychique humain, et à en préserver les règles et processus, et la connaissance des menaces de la société de l'époque (l'Inquisition notamment). Jung est ainsi connu pour être un des rares psychothérapeutes à s'être appuyé sur l'alchimie pour en déterminer les parallèles avec la psychologie, celle de la recherche de l'"anthropos" ou "homme total", auquel Jung donne le nom de "Soi").
La « conjonction des opposés », ou réunion des contraires représente la conjonction du conscient et de l'inconscient (gravure alchimique extraite du traité Aurora consurgens, environ 1500).
Mysticisme et spiritualité
Les hypothèses mystiques de Jung ont conduit en partie au développement du courant dit "New Age" qui en reprend les concepts d'inconscient collectif et d'âme psychique. « L’impact de la pensée de Jung sur la dynamique d’émergence du New Age est fondamental » résume le sociologue Luc Mazenc.
L'intérêt de Jung pour le yoga notamment, et globalement pour les croyances orientales, va permettre le syncrétisme qui se retrouve dans le New Age. Selon le sociologue Paul Heelas, dans The New Age Movement, Jung est l'« une des trois plus importantes figures du New Age » avec Blavatsky et Gurdjieff.
Ouvrages de Jung, ici :
Au sujet de Jung je vous propose de lire ces deux ouvrages :
(pour accéder aux documents cliquez sur les images)
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