dimanche 31 mars 2013

L’"ÉGYPTOMANIE"


L’égyptomanie est un phénomène unique de l’histoire de l’art et une des mentalités, qui ne cesse de surprendre... Par sa croissance permanente depuis le XVIe siècle. Par son étendue géographique quasiment mondiale, par la variété des supports et des objets qui l’accueillent, par son indépendance vis-à-vis de l’archéologie aux sources de laquelle elle puise pourtant ses forces vives, aussi, par son mimétisme enfin avec le style de chacune des périodes où elle s’invite.

On ne peut que s’étonner de son succès universel : celui-ci s’explique de plusieurs manières. Fondée sur la fascination exercée par l’Égypte ancienne sur les publics les plus variés, du simple amateur au savant, l’égyptomanie séduit toutes les classes d’âge : l’enfant la découvre à travers des jeux et des livres à sa portée, où la momie occupe une place de choix ; l’adolescent la poursuit dans la bande dessinée ; l’adulte la retrouve enfin à travers mille et une créations au bon goût parfois incertain, qui ne l’empêchent pas d’effectuer volontiers vers elle un transfert de fascination...

Et Dieu sait s’il y avait à faire, tant tout l’Europe a multiplié les liens avec l’Égypte et avec l’égyptomanie : tout prétexte y était favorable, événement politique, ésotérisme, franc-maçonnerie, tombeaux, décors divers…

L’égyptomanie s’exprime partout, entre autre en France, en Italie, en Suisse en Allemagne, ainsi qu’en Belgique et en Grande-Bretagne (deux pays où elle occupe en effet dans ce domaine, une place exceptionnelle) ayant suscité et vu naître un nombre important de manifestations particulièrement originales d’égyptomanie, l’Europe a su également en conserver certaines des plus étonnantes représentations.

Égyptophilie, égyptologie et égyptomanie...


Au moment où on se met à s’intéresser avec sérieux à la tradition du tarot et qu’on songe à trouver ses véritables origines, force est de constater que le sujet de l’Égypte demeure et revient toujours...

Au-delà de l’Égypte moderne et des analyses "géopolitiques" souvent contradictoires, cette attirance et cette fascination reposent sur une tradition occidentale ancienne. Mais dans ce courant permanant, quoique fluctuant selon les époques, égyptophilie, égyptologie et égyptomanie se conjuguent.

Le premier terme d’"Égyptophilie" révèle un amour de l'Égypte ancienne, de sa civilisation et de son art. Elle se réalise par la quête et la collection passionnée de tout objet datant de l'Égypte ancienne ou y faisant référence. Cette attraction universelle venue d’Italie a touché certaines villes à la Renaissance.

Tel est le cas de Lyon, ville du commerce, de la banque et de l’édition dès le XVIe siècle. Des objets de style égyptisant sont très tôt présents dans les cabinets d’antiquités de la région. Puis en 1824, François Artaud, premier inspecteur du conservatoire et antiquaire de la ville ouvre la galerie d’exposition d’égyptologie dans le Musée Saint Pierre. C’est la première en France, juste avant celle du Louvre (1826).

Le second vocable, celui d’"Égyptologie", désigne la connaissance de l'Égypte ancienne, de son histoire, de sa langue, de sa civilisation. C’est un savoir récent, constitué peu à peu au XIXe siècle.

La découverte des monuments pharaoniques commence avec l’Expédition de Bonaparte en Égypte (1798-1801) et la publication de la « Description de l’Égypte » (19 volumes de 1809 à 1822). Mais c’est le déchiffrement de l’écriture hiéroglyphique par Jean-François Champollion en 1822 qui ouvre le temps de la science.

Il faut situer dans ce cadre les recherches réalisées par l’école lyonnaise depuis plus d’un siècle, tant sur le terrain archéologique que celui des études et de l’enseignement. Ici la chaire d’égyptologie est créée en 1879. Elle devient ainsi le second centre hexagonal, après la capitale, de l'enseignement de la lan­gue hiéroglyphique et de la civilisation de l'Égypte antique.

Depuis, les nombreuses thèses de doctorat soutenues démontrent la vitalité de cette chaire, occupée notamment par Victor Loret de 1887 à 1929, puis plus tard par Jean-Claude Goyon, de 1981 à 2000.

Le troisième terme est le plus récent. L’"Égyptomanie" désigne la recréation moderne des modèles de l’Égypte antique...

Chaque civilisation, chaque époque a su intégrer au répertoire utilisé par ses architectes et ses artistes les thèmes et les éléments décoratifs typiques de la civilisation du Nil. L’obélisque, la pyramide, le temple, le sphinx, le lion égyptien, les hiéroglyphes et autres artefacts pharaoniques abondent dans notre quotidien sans que nous sachions toujours les voir comme tels.

Le "goût égyptien" est présent à Lyon depuis le XVIe siècle, avec de nombreux décors éphémères inspirés de l’antiquité, dressés à l’occasion d’événements ou de fêtes solennelles. Ce sont ensuite des monuments permanents érigés avant la Révolution, puis pendant tout le XIXe siècle. Certains d’entre eux décorent toujours Lyon. Mais d’autres villes françaises disposent également d’un riche patrimoine d’égyptomanie, avec des réalisations originales, comme Strasbourg, Toulouse, Nancy, Lille, Bordeaux, sans oublier bien sur Paris qui reste la capitale mondiale dans ce domaine.

ÉGYPTE EN VEDETTE


Jean-Marcel Humbert, historien et conservateur général du patrimoine, travaille depuis plus de trente ans sur l'égyptomanie. Qu'est-ce que l'égyptomanie ?

Pour exemple ; à la boutique du British Museum, on peut acheter salières et poivriers en forme de vases canopes, ces récipients dans lesquels on mettait les viscères des momies. Voilà l’exemple : C'est le détournement d'un objet, tant dans sa forme que dans sa fonction, qui constitue l'"égyptomanie".

Dès les débuts du cinéma, l'"égyptomanie" s'est imposée avec des Cléopâtre, des péplums. Sa place est importante aussi dans la bande dessinée : tous les héros, de Bibi Fricotin à Tintin, en passant par Blake et Mortimer, sont allés en Égypte...

Chaque époque a eu sa propre relecture de l'art égyptien, y ajoutant des caractéristiques stylistiques locales et datées : un sphinx du XVIIe siècle ne ressemble pas à un sphinx du XIXème.

Depuis les années 70, l'"égyptomanie" est devenue un domaine autonome de l'histoire de l'art, étudié comme tel dans les universités, et est l'objet de publications de plus en plus nombreuses.

L'« égyptophilie », quant à elle, désigne le goût pour l'Égypte, qui peut même se transformer en "égyptopathie" (par exemple : quelqu'un qui se fait construire sa tombe à l'égyptienne ou sa maison en forme de pyramide avec sphinx et décors floraux en est frappé...).

À quand remonte l'égyptomanie ?



Si le phénomène existe dans tout le monde occidental, la France et l'Angleterre ont toujours eu une relation particulière avec l'Égypte depuis la campagne de Bonaparte. Mais l'égyptomanie a commencé bien avant...

Elle est présente dès le XVIe siècle : à Fontainebleau, on peut voir une porte égyptienne de cette époque, et au château de la Bastie d'Urfé à Saint-Etienne-le-Molard (Loire), un sphinx égyptien. On se fondait alors sur les récits des voyageurs, on savait qu'il existait un pays mystérieux où les choses n'étaient pas comme chez nous, avec des dieux zoomorphes.

Dans le « Malade Imaginaire », Thomas Diafoirus déclare : « Ni plus ni moins que les colosses de Memnon.» ça parlait donc aux contemporains de Molière.

À la même époque, Lully écrit un opéra sur "Isis". À la fin du XVIIIe siècle, Cagliostro crée en France la maçonnerie dite égyptienne, et l'égyptomanie s'empare du domaine ésotérique.

Marie-Antoinette commande des fauteuils et des chenets dotés de têtes égyptiennes. Un goût égyptien se répand en Europe, et imprègne la société parisienne.

Quel rôle a joué la campagne de Bonaparte?


Bien évidemment, elle a relancé la mode. Dominique-Vivant Denon a eu une double intuition : il est revenu d'Égypte parmi les premiers, a publié un livre sur son voyage, accompagné d'un volume de dessins.

C'était écrit d'une manière tellement moderne que ça a été un succès de librairie fantastique, traduit dans la plupart des pays européens. On y trouve les premiers relevés détaillés des tombes et des frises décoratives. Sa deuxième intuition a été de transformer en succès politique et scientifique cet échec militaire.

Denon et l'Égypte jouent de ce fait un rôle fondamental dans la constitution du mythe de Napoléon. C'est ainsi qu'on a vu apparaître à Paris des monuments à l'égyptienne comme la fameuse fontaine du Fellah rue de Sèvres, ou celle du Châtelet. Isis devient la patronne de Paris, elle apparaît sur les armes de la capitale, orne l'un des frontons du Louvre. Très vite, l'Égypte s'est répandue dans les décors intérieurs, dans le mobilier, dans les services de table de Sèvres.

Après Napoléon, c'est 1822 et la redécouverte des hiéroglyphes par Champollion, date de la naissance officielle de l'égyptologie, qui aurait pu mettre fin à l'égyptomanie ; mais pas du tout. Quand j'ai commencé à travailler sur ce sujet, j'avais l'impression que l'égyptomanie fonctionnait par vagues déclenchées par un événement, comme l'ouverture du canal de Suez en 1869 ou la découverte de la tombe de Toutankhamon en 1922.


On réalise aujourd'hui que c'est un phénomène permanent et que les pics sont sur une assise très haute. L'ouverture de Suez a entraîné la création d'Aïda, un des opéras les plus représentés dans le monde.

Un archéologue célèbre, Auguste Mariette, s'est occupé des costumes et décors de la création. L'exposition "Toutankhamon" à Paris, en 1967, a été une prise de conscience du public de l'intérêt de l'art égyptien, la mode à l'égyptienne a été très forte : des robes, des bijoux. Le phénomène a été encore plus fort aux États-Unis, quand l'expo y est arrivée dix ans plus tard.

Comment expliquer cet intérêt ?

Par une fascination qui débute dès l'enfance. Quand vous emmenez un enfant au département égyptien du Louvre, il se passe quelque chose, il y découvre une représentation différente des corps et les dieux zoomorphes : c'est un monde magique, et la sympathie est immédiate. Et puis les momies, un passage intermédiaire entre vivant et mort. La momie vivante était l'apanage des films d'horreur des années 30 avec Boris Karloff. Elle est devenue l'apanage du domaine de l'enfant par l'intermédiaire du dessin animé et des jouets.

Depuis une vingtaine d'années, l'égyptomanie a explosé avec la démocratisation des voyages et les cours d'égyptologie et d'épigraphie ancienne. À Las Vegas, on a construit le complexe hôtelier "Louxor" sous une pyramide avec un énorme sphinx ; à Dubaï, on voit des gratte-ciel décorés à l'égyptienne... etc...

" L’égyptomanie, un phénomène en perpétuel devenir "

Jean-Marcel Humbert est un de ceux qui a démontré l’ampleur d’un phénomène unique dans l’histoire de l’art, celui de l’égyptomanie, ou la réutilisation et le détournement des formes archéologiques de l’Égypte ancienne au profit des formes modernes et contemporaines qui n’ont rien à voir avec cette civilisation de l’Antiquité.

Jean-Marcel Humbert en explique les origines et les mécanismes... Deux origines sont à retenir parmi les plus importantes.

Rome en premier, où furent transportés dans l’Antiquité des obélisques, les sphinx de la Villa d’Hadrien et les lions de Nectanébo.

Les monuments égyptiens furent imités par les Romains, comme en témoignent la pyramide de Caïus Cestius, les représentations du dieu Nil, la Table Isiaque en bronze, les statues d’Isis et celles d’Antinoüs. Les artistes européens, en voyage d’étude dans la Ville Éternelle, ont tous contemplé ces monuments et ont pu en ramener des croquis.

Une autre source notable est l’œuvre, au XVIIIème siècle, de Giovanni Battista Piranesi, un architecte et graveur italien qui orna de décors à l’égyptienne deux murs du Café des Anglais à Rome, et qui publia en 1769 quinze planches décorées à l’égyptienne dans : « Diverse maniere d’adornare i Cammini », un ouvrage qui eut un grand retentissement dans le monde artistique d’alors.

Le conférencier explique ensuite les mécanismes qui ont contribué à la diffusion et à la réutilisation sur une échelle étendue des modèles issus de la civilisation égyptienne. Ceux-ci présentent des formes qui peuvent être réadaptées et évolutives, comme la pyramide et l’obélisque.

Ce sont des sujets très prisés du grand public, tels Toutânkhamon ou Cléopâtre. Ils peuvent être utilisés dans des domaines très variés, l’art, la vie quotidienne. Ils présentent des liens d’évidence quand ils sont associés à des musées ou à des établissements d’enseignement. Ils connaissent une diffusion mondiale, car ils sont appréciés et utilisés en Europe, en Amérique du Nord, en Asie. Ils sont les véhicules de symboles récurrents comme la beauté et la douceur de vivre.

Jean-Marcel Humbert poursuit son propos, abondamment illustré, autour des monuments et objets égyptiens "phares" qui furent régulièrement réutilisés jusqu’au XXIème siècle : pyramides, obélisques, sphinx, têtes coiffées du némès, statues cubes, momies, vases canopes, têtes hathoriques, pylônes de temple.

Du XVIème siècle jusqu’à nos jours, toutes ces formes empruntées à l’Égypte ancienne sont réinterprétées pour être employées dans les domaines les plus divers : l’architecture en général, celle des usines et des salles de cinéma, la sculpture, les parcs et jardins, les cimetières, le mobilier, les objets de décoration, la porcelaine, la publicité, le cinéma, la scénographie d’opéra et la bande dessinée. Chaque fois se mêlent des jeux 2 subtils entre l’élément égyptien copié et l’expression artistique de l’époque. Pour finir, quatre "cas d’école" sont exposé : Antinoüs, Isis, Cléopâtre et l’opéra Aïda de Giuseppe Verdi, afin d’en comprendre la multiplicité des utilisations et celle des nouvelles significations qui leur sont attribuées.

L’original romain de la statue d’Antinoüs fut très tôt copié à Rome. Un exemplaire appartenant aux collections du Pape fut saisi et emmené en France par Napoléon. Exposé au musée du Louvre, il inspira nombre d’artistes à Paris, et jusqu’en Russie. C’est ainsi que la statue d’Antinoüs, un peu adaptée, a servi de modèle pour composer la "Fontaine du Fellah" rue de Sèvres à Paris.

L’Égypte antique continue donc d’être omniprésente dans notre univers quotidien, de manières allusives ou appuyées : ainsi l’égyptomanie continue-t-elle d’évoluer en permanence sous nos yeux...

L'Égyptomanie, quand même, se fonde le plus souvent sur des sources archéologiques, scientifiques et artistiques...

La période du début du dix-neuvième siècle dite du "Retour d'Égypte" en référence à la fin de l'expédition de Bonaparte a fait véritablement naître l'égyptomanie

L'égyptologie devient une science connue, et elle offre ainsi de nombreux modèles à l'égyptienne. L'égyptomanie se développe certes grâce au goût du public pour l'exotisme égyptisant. Le grand public accède à une connaissance plus précise de l'Égypte à partir des années 1825.

C'est la fantastique faculté d'adaptation de l'égyptomanie qui explique en grande partie sa permanence et surtout sa faculté d'atteindre toutes les couches de la société

Néanmoins, l'égyptomanie véhicule un symbolisme qui fonde sa particularité. L'Égypte fournit des thèmes et une partie de ses symboles à l'égyptomanie. Cependant, elle n'est pas la seule composante du phénomène car l'originalité de l'égyptomanie se fonde sur des symboles propres.

« L’égyptomanie » est-elle une imposture ?


Ah, l’Égypte ! Prononcez son nom et vous verrez s’illuminer les regards. Des pyramides mystérieuses, une écriture si pittoresque, et puis cette fascination pour le monde des morts et l’au-delà…

S’il est un pays qui depuis l’antiquité fait fantasmer ceux qui l’évoquent, c’est bien celui-là. Et c’est justement contre ce sentiment si répandu que s’élève avec vigueur le livre de Roger Caratini. Car ce qu’il appelle "égyptomanie" s’apparente plus pour lui à une maladie – avec ses fièvres, ses obsessions et son monde clos – qu’à la vérité historique dont il veut se faire l’écho.

C’est poussé par l’indignation que cet encyclopédiste renommé à qui l’on doit l’encyclopédie Bordas et des livres sur l’Islam ou le monde romain, a pris la plume. Sa démonstration permet de comprendre pourquoi.

L’originalité de la civilisation égyptienne avait déjà séduit les Grecs, au VIIe siècle avant J.-C. Ceux-ci, explorateurs forcenés, avaient été surpris de découvrir qu’ils n’étaient pas le seul peuple civilisé à vivre dans cette région du monde.

Hérodote écrira plus tard un livre qui lancera, déjà, une sorte de mode égyptienne qui conduira savants et commerçants grecs à se précipiter en Égypte.

Plus tard, c’est à la renaissance qu’apparaissent en Europe des objets d’art égyptiens ainsi que des manuscrits encore illisibles. Leur aspect mystérieux ainsi que les descriptions des temples et des pyramides éveillent peu à peu un intérêt décuplé par l’incompréhension. C’est bien sûr avec l’expédition de Napoléon en Égypte, puis le déchiffrage des hiéroglyphes de la pierre de Rosette par Champollion en 1822 que l’engouement des orientalistes européens pour l’Égypte se déchaîne.

Mais ce n’est pas contre cet intérêt légitime des savants et des archéologues pour une civilisation passionnante que s’élève l’auteur. C’est plutôt contre la voracité des pilleurs de mastabas, l’obsession des antiquaires véreux et la propension des agences touristiques à vendre un pays imaginaire alors qu’on ignore en fait à peu près tout de la véritable histoire de l’Égypte.

En comparant cette civilisation à celle de la Mésopotamie ancienne où l’on connaît, grâce aux tablettes couvertes de signes cunéiformes, les moindres détails de la vie quotidienne des Sumériens (4000 ans av. J.-C.), Roger Caratini souligne combien au contraire on connaît mal la culture égyptienne.

Ce sont bien les Sumériens qui ont inventé à la fois la vie sédentaire et l’écriture, et non, comme "l’égyptomanie" veut le faire croire, les Égyptiens. Et si les fresques des temples décrivent bien la vie des paysans des bords du Nil, il ne nous est parvenu, contrairement aux civilisations mésopotamiennes, aucun signe d’un système juridique, parlementaire ou social organisé.

Selon l’auteur, si l’Égypte ancienne s’est ainsi, sur plusieurs millénaires, caractérisée par un immobilisme historique, c’est dû à l’isolement géographique et à l’inconséquence de pharaons qui ne cherchaient pas le bien de leur peuple mais bien plutôt la permanence de leur statut.

Quant aux prétendus mystères égyptiens, ils ne tiennent pas face aux recherches approfondies des savants : en ce qui concerne les pyramides, constructions il est vrai d’exception, on connaît aujourd’hui à la fois les moyens techniques qui furent mis en œuvre pour les édifier, le nombre impressionnant – des dizaines de milliers d’esclaves et serviteurs – de personnes qui les construisirent ou encore l’architecture cachée de leur soubassements ainsi que leur signification religieuse. Les supposés mystères qui attirent, aujourd’hui encore, les partisans de "l’égyptomanie" ne reflèteraient donc que le désir forcené d’un Occident en mal de croyances magiques.

(cf : Roger Caratini : « L’égyptomanie, une imposture », Ed. Albin Michel, 264 p.)

Que la civilisation égyptienne ait été l’une des plus grandes, nul n’en doute. Mais, certains en ont fait un fonds de commerce. Un spécialiste s’indigne

TAROTS, ÉGYPTOMANIE ET CARTOMANCIE...


Le "Tarot de Nefertari"

Selon la tradition ésotérique, le lieu d’origine des Tarots ne serait ni l’Égypte ni l’Orient (ni même la mythique Atlantide) ; selon cette tradition, les Tarots auraient vu le jour à la Renaissance auprès des cours du nord de l’Italie : celles de Milan, Bologne et Ferrare... Et les Tarots se seraient ensuite diffusés dans toute l’Italie puis dans le reste de l’Europe, où ils connurent de nombreuses variantes...

L'iconographie du Tarot nait avec les cartes, inspirée par la renaissance naissante. Ceci n'empêche pas de spéculer sur des origines plus anciennes des symboles, des images, reste que ces images ne sont ni anachroniques ni hors normes pour l'époque à laquelle elles ont été créées.

En outre, si l'origine des images, dont depuis Gertrude Moakley la nature a été progressivement affinée (voir par exemple les propositions judicieuses de Michael J. Hurst), les variations de l'iconographie suivant sa réappropriation à différentes époques (par exemple par les cartiers français bien sûr) laissent beaucoup à faire aux chercheurs consciencieux et aux approches plus "libres" et moins pragmatiques.

Les cartes ont vraisemblablement une origine orientale. Elles apparaissent soudainement à partir de 1370 dans l'Europe, quasiment simultanément en Italie et en Catalogne, avec les enseignes italiennes ou espagnoles (bâtons, deniers, coupes et épées) puis avant 1480 avec les enseignes françaises (pique, cœur, carreau et trèfle).

Vers 1470, on trouve les Tarots à Florence où fut créée une variante dite "Germini" ou "Minchiate". Au début du XVIe siècle ils firent leur apparition à Pérouse et à Rome et lors du siècle suivant ils débarquent en Sicile. De Ferrare, ils se diffusent en direction de Venise, de l’Autriche et de la Bohème. De Milan, ils arrivent en Suisse, en France puis en Allemagne, pays dans lequel se développa au XVIIIe siècle une riche production de Tarots illustrés de scènes fantastiques, inspirées du monde animal, de l’histoire, de la mythologie et des tradition et coutumes populaires.

LES CARTES ÉTAIENT UTILISÉES POUR LE JEU AVANT TOUT


Le Tarot est d'abord et avant tout : "un jeu" ; c'est indéniable, et "un jeu d'argent" souvent. L'argent n'est jamais loin du jeu de cartes, mais sa relation intime supposée avec un tradition qui l'associerait à la divination est moins certaine et plus discutable...

Il faut vraiment chercher assez profond pour trouver des utilisations non ludiques des Tarots. Il y en a quelques unes assez rares, (voir à ce sujet le site de M.K. Greer qui recense quelques travaux d'historiens. http://marygreer.wordpress.com/2008/04/01/origins-of-divination-with-playing-cards/).

On note l'absence flagrante de références à la divination par les Tarots (ou plutôt : "Triomphes"). C'est seulement vers 1700 qu'on trouve des traces de commentaires divinatoires sur les cartes à Bologne...

Il faut relever dans cette liste au XVIème, Martín de Azpilcueta qui condamne « el que pregunta, o quiere preguntar al adeuino de algun hurto, o otra cosa secreta, o procura de la saber por suertes de dados, cartas, libros, harnero, o astrolabio » (celui qui interroge, ou veut interroger un devin à propos d'un vol ou quelque autre chose secrète, ou obtient la connaissance par le hasard de dés, de cartes, de livres, de philtre ou d'astrolabe) - c'est la divination ou "mancie" qui est visée, quel que soit le support, et les supports de jeux servent naturellement (reproduisant ou modélisant les "hasards" de la vie ?) à ces pratiques. Un ouvrage anonyme du XVIème siècle laisse entendre que la divination et peut-être même des rituels initiatiques s'opérait grâce au tarochini de Mantegna.


 Tarochini de Mantegna

En Italie, il semble que les "tarots" comme le Mantegna ou le Sola Busca furent utilisés comme support à des jeux d'improvisations poétiques à plusieurs époques... Pratique qui se serait perpétuée avec les tarots de Milan, et très tôt dans son histoire, cette pratique était désignée par les termes italiens "Tarocchi Appropriati" (cf : http://trionfi.com/0/p/28/)

Il est évidemment possible que les Tarots comme les cartes ou les dés aient très tôt servi de support de divination, mais ce n'est pas pour cela que les cartes furent créées. Peut-on en dire autant des dés ? Pas si sûr, (cf : à ce sujet Jean-Marie Lhôte, "Le symbolisme des jeux", Berg).

Les Tarots ont aussi pu être utilisés pour de la sorcellerie - ainsi qu'on en trouve la trace en 1589 à Venise. Bref si la "cartomancie" ou la "divination" avec les "cartes à jouer" est attestée assez tôt, ce n'est pas le cas pour les "tarots".
The gambler in the gaming house or tavern... unrestrained in his ardour for the game. If he wins, he continues playing; if he loses he plays again

Les cartes des Tarots étaient utilisées à l’origine en jeu avec quelques règles comparables à celles des échecs. Au vu de son caractère "ingénieux", le "Ludus Triompharum" était exclu des ordonnances contre les jeux de hasard promulguées au XVe siècle dans de nombreuses villes du nord de l’Italie.

En outre, grâce à de nombreux documents datant de la Renaissance, l’on sait que dans les salons aristocratiques le jeu des Triomphes était au centre de divertissements raffinés qui consistaient par exemple à inventer des sonnets courtois ou à répondre à des questions ayant trait aux cartes tirées du jeu.

Une autre pratique consistait à associer les figures de Tarots à des célébrités en écrivant à leur propos des sonnets ou plus simplement des devises, tantôt élogieuses, tantôt burlesques ou satyriques. Ces pratiques ludiques et littéraires marquèrent rapidement le pas.

Dès la fin du XVe siècle, un prédicateur dominicain anonyme s’acharnait contre les "Triomphes" en les qualifiant d’opus diaboli et justifiait son jugement en affirmant que l’inventeur de ce jeu, pour entraîner les hommes dans le vice, avait délibérément utilisé des figures respectables au plus haut point, ainsi le Pape, l’Empereur, les Vertus chrétienne et même Dieu.

Au XVIe et XVIIe siècles les Tarots se transformèrent en un vrai jeu de hasard caractérisés par de nombreuses variantes régionales.

Bien qu'au XVIème siècle Merlin Cocai (pseudonyme de Teofilo Folengo 1527), ait écrit sous une forme littéraire une sorte de traité de lecture divinatoire avec les tarocchi, (basé sur un ouvrage du mage Sarastro - écrit autour de 1450). Ce Teofilo Folengo nous rapporte que la lecture des cartes pour la "pratique prophétique" est  couramment en usage dans le nord de l'Italie à son époque.

Du reste, nous savons que le premier document attesté contenant la liste des cartes avec leurs valeurs divinatoires respectives appartient à la ville de Bologne et doit être daté des premières années du XVIIIe siècle. Il encore plus avéré que la divination étaient pratiquée avec les jeux de tarots, dans l’Italie du Nord et à Marseille. Des documents historiques atteste que la cartomancie s’y pratiquaient avec les tarots, et que cet art étaient surtout connu des bohémiens et artistes ambulants...

Les Jeux Annotés...




Jeu de 52 cartes annotés, destiné à la divination. 
Conçu à l'origine par Dormann Newman vers 1640 et publié par John Lenthall of The Talbot,à Londres en 1665. 
Il semble que l'ancêtre de ces jeux soient apparus simultanément en Allemagne et en Suisse autours de 1630


Il existe un jeu "Sola Busca" entièrement annoté!! C'est le tout premier jeu disposant de définitions pour chacune des lames!!!

On trouve des cartes à jouer, annotées à la manière de celles utilisée par les Bohémiens, dès 1630 en Suisse en Allemagne et en Belgique !! Le Tarot dit "de Marseille" fait aussitôt son apparition à Paris, en 1650.

Cette nouvelle invention est arrivé au bon moment historique, au début de la renaissance occulte victorienne, et d'ici la fin du siècle occultistes français et britanniques ont mis au point différentes écoles qui ont eu le jeu du 15ème siècle comme la clé absolue pour occulte Science.

Le milieu des années 1700 a vu un grand développement dans le jeu de Tarot, une plate-forme modernisée, avec une croissance de la popularité du Tarot.

Dummett note que « Les cent ans entre environ 1730 et 1830 ont été l'âge d'or du jeu de Tarot, il a été joué non seulement dans le nord de l'Italie, est de la France, la Suisse, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, mais aussi en Belgique, aux Pays-Bas, le Danemark, la Suède et même la Russie n'était pas seulement, dans ces domaines, un célèbre jeu avec beaucoup de dévots: il était aussi, pendant cette période, plus vraiment un match international qu'elle ne l'avait jamais été auparavant ou qu'il ne l'a jamais été depuis ... »

À partir d'environ 1750, les tarots produits en Suisse et en France, deviennent populaire, d’abord certainement à cause du jeu... Les modifications que les cartiers apportent aux tarots qu’ils créés semblent chercher à rendre le tarot plus agréable à utiliser pour le jeu du tarot (non pas la pratique de le divination).

C’est d’ailleurs autours de 1750 qu’on voit apparaitre les premières cartes avec les symboles communs qui figurent toujours sur nos cartes à jouer (piques, trèfles, cœurs et carreaux) ont remplacé les anciens symboles italiens, et vers 1780 les atouts (arcanes majeurs) ont commencé à être bicéphales, c’est à dire à être présentée de manière à ce que les cartes puissent être réversibles. (Les thèmes de ces jeux pourraient inclure presque n'importe quoi: des animaux, des scènes pastorales, les triomphes militaires, proverbes illustrés, même la publicité. Bien qu'en baisse en France et en Italie, la popularité du jeu d'ailleurs augmenté au cours de cette période).

On pouvait bien se douter que les appellations Tarot "de Venise", "de Marseille" ou "de Besançon" avaient un caractère artificiel...

À cette classification dépassée, on peut substituer une répartition fondée sur le nombre et l’ordre des allégories dans la série des atouts. Milan, Bologne et Ferrare en seraient les foyers. La tradition Milanaise survit dans le Tarot de Marseille, la tradition Bolognaise se perpétue dans le "Minchiate" à quatre vingt dix sept cartes tandis que la tradition Ferraraise a pratiquement disparu. Mais les aventures du Tarot ne devaient pas s’arrêter là.

Ainsi, quand le jeu se répandit dans l’Empire Germanique, l’aspect étrange de ces Tarots italiens, dut choquer le rationalisme des joueurs, car les cartiers d’outre-Rhin substituèrent aux couleurs d’origine, celles des cartes françaises : piques, carreaux, cœurs et trèfles, et ils remplacèrent ces atouts inquiétants par des sujets plus simples que les joueurs d’aujourd’hui connaissent bien.

L'expression "Tarot de Marseille" (expression apparue tardivement au XIXème), désigne donc dans son acception la plus restreinte un type graphique très bien défini de jeux de tarot. Le type dit "Tarot belge à couleurs latines" ou "Rouen-Bruxelles" a existé d'abord en France au XVIIIe siècle. Le Tarot de Marseille n’a pas pu naître à Marseille, où l’on ne fabrique de cartes à jouer que depuis 1730 comme le rappelait très précisément Thierry Depaulis dans un documentaire télévisé consacré au tarot.

Aussi... la cartomancie dans la "tradition des tarots de Marseille", semble avoir débutée à Paris dès l’apparition des jeux de tarots parisiens autours de 1650...

Des cartes de "Tarot de Marseille" annotées à la manière de celles des bohémiens, apparaissent vers 1730 en Allemagne et en Suisse.

De nouveaux systèmes de correspondance ont été inventés et des couches supplémentaires de légende ont été superposées. Le développement du Tarot va alors bien au-delà de son utilisation pour jouer aux cartes. La pratique de la divination avec des cartes à jouer se développe tôt (avant l'utilisation des triomphes). Il y a quelques ouvrages qui sont parut entre 1600 et 1700 concernant les techniques de divination et les symbolique des cartes (surtout en Allemagne).

À partir du XVIIIe siècle commença l’importation de Tarots français en particulier de la variante "’marseillaise" dont s’inspirèrent les fabricants piémontais et lombards pour rénover leur production. Ensuite, talonnés par des jeux plus modernes, les Tarots disparurent lentement. Le jeu du Tarot s'appelait encore communément : "Carte da Trionfi" ou "Naibi da Trionfi" jusqu'au XIXème...

Aujourd’hui, ils sont encore présents dans quelques villes de Sicile, d’Émilie, de Lombardie et du Piémont ainsi que dans le Sud-Est de la France. Dans le même temps toutefois, les images des Tarots furent l’objet de manipulations et d’interprétations ésotériques au point d’être considérées comme des icônes magiques.

LES BOHÉMIENS ET LE TAROT



Les "Tziganes" (Roms ou "Rrômes" comme l'écrivait J.-G. Bourgeat, "Manouches", "Bohémiens" ...) n'ont apparemment pas apporté le Tarot en Europe. Des historiens du XIXe siècle l'ont cru mais cette idée a fait son temps. L'usage divinatoire du Tarot par des populations d'origine Rom n'est pas attesté avant le XVIIIe siècle. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'ait pas eu lieu plus tôt, mais la chiromancie semble le support de divination privilégié des Rroms auparavant...

Par contre, ce qui tout à fait certain, c'est qu'à partir du  XVIIIe siècle la tradition de la cartomancie était pratiqué par les tziganes partout en Europe. Ils utilisaient les cartes à jouer peut-être depuis fort longtemps à cet effet.. Il est indéniable, d'ailleurs, que les "jeux annotés" des bohémiens ont inspirés les "tarots modernes" comme ceux d'Etteilla, Papus ou Mlle Lenormand... ("Le Petit Lenormand" étant le plus proches semblable des cartes annotées qu'utilisaient les gitans).

Mais aussi, il y a fort à parier, que les tziganes ont été les tous premier à se servir des Tarots de Marseille pour la divination. Enfin, il est mentionné dans des document que dès 1800 en Hongrie en Roumanie et jusqu’en Bulgarie, que la divination avec les tarots était pratiquée par les Roms ou les Bohémiens. Ils utilisaient des jeux aux styles de Besançon ou des jeux dits "Suisses".

Ces artistes voyageurs,bohémiens, bateleurs et gitans auraient répandu cette pratique dans toute l’Europe ; assurément en Allemagne, en Suisse, peut-être même en France et jusqu’en Espagne...

Les européens pour la plupart laissaient cette pratique dite de divination aux gitans. Les gens de l’élite connaissaient cet science ésotérique, mais quand il était question de "lire dans les destinées", il faisait le plus souvent appel à une femme qui venait d’un milieu pauvre et qui avait la réputation d’avoir un certain don de clairvoyance...

Or, la divination et la "clairvoyance" était, au départ, intimement lié car pour les gitans ; un tarot, du marc de café, des feuilles de thé, des dés ou des cartes pouvaient indifféremment faire l’affaire, puisque au départ selon les tziganes, il faut avoir un "don de clairvoyance", et ensuite ;  "n’importe lequel support" peu être utilisé comme support à la divination.

Les gitans laissent aussi entendre qu’ils ont ramené ces pratiques de l’Inde et de la Perse, il y a très longtemps ; et que la divination s’est longtemps pratiquée avec des feuille de thé, ensuite des cartes. Le plus souvent on faisait appel aux gitans pour la lecture des lignes de la main, et plus tard pour la lecture des tarots, qu’ils inclurent dans l’éventail de leurs spécialités...

Je rappelle que ces pratiques divinatoires, attribuables aux bohèmes, était présentent un peu partout en Europe, et déjà faisaient de plus en plus d’adepte dans le nord de l’Italie, dans le Sud de la France et peut être encore plus en Espagne.

Aussi, les tarots étaient utilisées à cette fin, non pas seulement par des Bohèmes, mais aussi par des initiés, en Belgique en Allemagne et en Suisse...

Bien qu'il soit probable que le Tarot ait été utilisé dès le début pour la divination, il fut surtout considéré jusqu'à la toute fin du XVIIIe siècle comme un simple jeu de cartes, un commun jeu d'argent. Et seuls quelques initiés osaient en consulter les oracles.

Il est généralement admis que la période qui couvre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, fut propice aux prophètes et aux devins, en France et ailleurs, en raison des incertitudes politiques et de l’aggravation de la crise économique.

Existe en effet une très vaste production d’estampes datant du XIXe siècle qui représentent des scènes de divination populaire, production qui atteste la diffusion de la cartomancie. L’archétype est une veille femme, souvent gitane, qui prédit l’avenir au carrefour et qui habite un taudis entourée de tout un attirail magique.

Naissance des Tarots Ésotériques...

Bien que l’art divinatoire à l’aide de cartes fût sans doute pratiquée dès la fin du XVIIe siècle, ce n’est qu’au XIXe siècle que les cartomanciennes se multiplièrent grâce aux stupéfiantes révélations de Court de Gébelin, d’Etteilla et des confraternités occultistes.

L'égyptomanie du Tarot s'est développée en France à la suite d'Antoine Court de Gébelin (1725-1784). Court de Gébelin identifie, l'imagerie des Tarots à des hiéroglyphes. On peu donc lui reproché l'origine "égyptienne" des Tarots puisqu'il est le premier à faire correspondre les images et les idées du Tarot avec l'iconographie et la cosmogonie de l'Égypte ancienne.

Cependant un "hiéroglyphe", comme le rappellent Jean-Marie Lhôte et Charly Alverda, désignait depuis au moins le XVIe siècle une image à plusieurs niveaux de lecture, comme pouvait l'être un "emblème" ou une "icône". C'est peut-être dans ce sens qu'il faut entendre Court de Gébelin et Etteilla quand il associent les lames de tarots à des imageries de l'Égypte...

Donc, la renaissance des Tarots comme instrument magique intervient à la fin du XVIIIe siècle, en pleine période des Lumières. Elle est l’œuvre de cet  archéologue, grammairien, pasteur protestant parisien s'inscrivant dans le courant de la franc-maçonnerie naissante (Court de Gébelin appartenait à l'ordre secret et occultiste des "Élus Coens" fondé par Martines de Pasqually. Il était le disciple et l'ami du mystique Louis-Claude de Saint Martin. Il fut le maître de Fabre d'Olivet). Court de Gébelin fit paraître en 1781, son ouvrage « Le Monde Primitif » s'appuyant sur une théorie générale du langage ; ouvrage dans lequel il prétend que les arcanes majeurs sont les images d'un livre secret venu de l'Égypte ancienne : le « Livre de Thot ».


"Si nous annoncions, aujourd’hui, qu’existe une œuvre qui contient la doctrine la plus pure des Égyptiens qui aurait échappé aux flammes de leurs bibliothèques, qui ne serait impatient de connaître un livre aussi précieux et extraordinaire ? Et bien ce livre existe et ses pages sont les figures des Tarots”; affirmait-il.

Pour justifier ses affirmations Court de Gébelin explique que le mot "Tarot" vient de l’égyptien "Ta-Rosch" qui signifie "Science de Mercure" ("Hermès" pour les Grecs, "Thot" pour les Égyptiens). Puis, aidé par un collaborateur inconnu, il indique les nombreuses propriétés magiques du Livre à peine redécouvert.

Pour Antoine Court de Gébelin, LE MAT, (que certains associent à la lame 22), est la lame "0", c'est à dire, la carte qui peut prendre n'importe quelle valeur. Elle est faite pour circuler au milieu des 77 autres lames qui désignent tous les états psychologiques et sociaux (archétypes) - réels, virtuels ou posthumes- qu'un "Ego" fictif peut actualiser. LE FOU poursuivi par son chien (son passé) n'est que le représentant ou le véhicule de tout homme cheminant dans l'espace éternel et/ou perpétuel de ses destinées...

Mais il faut être très perspicace pour y voir des symboles à proprement parler égyptiens, que ce soit dans la forme ou dans le fond, même s'il est toujours possible d'en arranger quelques-uns comme : la Justice = Maat, la Papesse = Isis, ou le Sphinx = la Roue de Fortune.

On pourrait bien chercher pendant longtemps, et en vain, le moindre symbole Égyptien dans le TAROT !

La carte du pape est typiquement chrétienne. La carte du DIABLE est judéo-chrétienne (les Égyptiens ne connaissaient ni diable cornu, ni satyre) ainsi que la carte de la TEMPÉRANCE qui représente un ange.

La carte représentant LE JUGEMENT dernier et la mort représentée par un squelette sont également de la mythologie judéo-chrétienne et on ne trouvait rien de semblable en Égypte...

La carte LE MONDE, elle, est entourée des 4 animaux d'Ézéchiel, qui sont aussi les symboles des 4 Évangélistes; donc on se retrouve toujours en pleine culture judéo-chrétienne.

Quant à la carte de LA ROUE-DE-FORTUNE, le Sphinx du Tarot n'est pas un Sphinx d'Égypte!  En effet, ce dernier est ailé. C'est donc un sphinx sémitique, ou grec, non pas un sphinx Égyptien.

Il faut plutôt se rappeler que la mentalité de cette époque, passait après plusieurs siècles d'influence gréco-romaine, à un passé autrement plus fascinant et plus mystérieux pour les occultistes, celui de l'Égypte antique que l'archéologie naissante mettait en lumière. Cette option bien que très tenace n'a jamais pu être validée, mais elle a permis au Tarot d'émerger de l'ombre.

Court de Gébelin a lancé la grande vogue du Tarot et de l'occultisme. Le tarot divinatoire faisait ainsi son entrée dans la tradition ésotérique occidentale...

À la suite, de Court de Gébelin, de nombreux auteurs reprirent ces théories "occultes" et "égyptomanes". C'est à Paul Christian (Jean-Baptiste Pitois, 1811-1877) que nous devons l'emploi des termes "lames" et "arcanes", devenus classiques dans la littérature ésotérique...

Jean-Marie Lhôte s'interroge sur l'origine de cette idée. Il est indéniable que Court de Gébelin naviguait dans la franc-maçonnerie, et il est possible que son intérêt pour le Tarot soit né dans quelque loge qu'il a fréquenté.

Les Secret des "Arcanes"...

C'est à Paul Christian (Jean-Baptiste Pitois 1811-1877) que nous devons l'emploi des termes "lames" et "arcanes" [...] pour désigner les cartes de "Tarot" (« L'homme rouge des Tuileries », Paris, 1863).

Ces désignations firent florès chez les occultistes et les cartomanciens, avec le succès qu'on connait en ce début de troisième millénaire - où l'usage est devenu de désigner les cartes par les noms d'"arcane" ou "lames", les triomphes ou atouts portant l'épithète "majeur", les cartes numérales et les honneurs étant relégués au rang de "mineur".

Le "Livre de Thot" ou l’interprétation ésotériques des tarots

Quelques années plus tard, un cartomancien du nom d'Etteilla (Jean-Baptiste Alliette le jeune, 1738-1791) se réclamait de Court de Gébelin pour proposer sa méthode de divination par le tarot. Il alla même jusqu'à créer un modèle spécial, afin de "rétablir les hiéroglyphes" déformés par les cartiers "ignorants".

Quelques indications éparses de cette "prétendue tradition ésotérique" apparaissent au début du siècle, mais le premier livre sur la cartomancie a été publié en 1770. Il a été écrit par Etteilla, le première Cartomancien professionnel, qui devint l'un des fondateurs du Tarot "ésotérique", c'est à dire du mysticisme et de l'ésotérisme égyptien mis en correspondance avec le Tarot. En 1790, Etteilla créera un nouveau TAROT basé sur cette théorie Égyptienne.

À partir du milieu du XIXe siècle, toutes ces théories vont se cristalliser et donner ainsi naissance à un nouveau courant d'interprétation, plus franchement tourné vers l'occultisme, qui prétend donner au tarot une valeur ésotérique et initiatique.

Le nombre de cartomanciennes s’accrut de façon considérable grâce aux stupéfiantes révélations de Court de Gébelin, d’Etteilla et des confraternités occultistes.

Ces théories sont reprises par un autre franc-maçon, Etteilla, pseudonyme de Jean-François Alliette : “Le Tarot est un livre de l’Égypte ancienne dont les pages contiennent le secret d’une médecine universelle, de la création du monde et de la destinée de l’homme. Ses origines remontent à 2170 avant J.-C. quand dix-sept magiciens se réunirent en un conclave présidé par Hermès Trismégiste. Il fut ensuite incisé sur des plaques d’or placées autour du feu central du Temple de Memphis. Enfin, après diverses péripéties, il fut reproduit par de médiocres graveurs du Moyen-Age avec une quantité d’inexactitudes telle que son sens en fut dénaturé".

Etteilla restitua aux Tarots ce qu’il estimait être leur forme primitive, il en remodela l’iconographie et le baptisa "Livre de Thot". L’héritage du néoplatonisme et de l’hermétisme de la Renaissance est clairement présent dans les manipulations opérées par Etteilla. En effet, dans les huit premiers triomphes, il reproduit les phrases de la Création ; dans les quatre suivants ; il souligne que les vertus conduisent les âmes auprès de Dieu ; et enfin dans les dix derniers, il représente les conditionnements négatifs auxquels les êtres humains sont soumis.

Cette idée gratuite émise par Court de Gébelin fut reprise par Alphonse-Louis Constant (1810-1875), plus connu sous le nom "cabalistique" de "Éliphas Lévi", qui en 1856 fait paraître l'ouvrage : « Dogme et rituel de la haute magie ». 

Eliphas Lévi se fait le promoteur de cette philosophie ésotérique, en la faisant corresponde cette fois avec la science de la "Cabbale"... Ses théories ont eut un grand succès parmi les franc-maçons et occultistes français...

Les 56 cartes numérales furent interprétées comme les sentences divinatoires pour les mortels. Grâce à ces révélations, prit un grand essor la mode de la cartomancie, toutefois, bien plus tard la dimension mystique du "Livre de Thot" fut revalorisée par Eliphas Lévi.

Entre autre, Eliphas Lévi dénonça les erreurs d’Etteilla en affirmant que les 22 Triomphes correspondaient à 22 lettres de l’alphabet hébreux. Et il en explique le rapport avec les opérations magiques, avec le symbolisme franc-maçon et surtout avec les 22 sentiers de l’Arbre de la Kabbale, qui reflètent les structures identiques de l’homme et de l’univers.

En parcourant les 22 canaux du savoir suprême, l’âme humaine pouvait parvenir à la contemplation de la lumière divine. Les théories de Lévi furent reprises par de nombreuses confraternités occultistes et chacune d’entre-elles réalisa de nouvelles cartes des Tarots conformes à sa propre philosophie.

D'une certaines manière, l’objectif des initiés était la réalisation d’un grand Temple Humanitaire visant la création du Règne du Saint-esprit fondé sur l’ésotérisme commun à tous les cultes (théosophie). Pour d’autres, les Tarots représentaient les étapes d’un parcours individuel d’élévation mystique ou d’exaltation psychique grâce à l’obtention de grands pouvoirs magiques.

Tarots, Taromancie et Tarologie...


Parmi les innombrables devin de l’époque, il convient de s’arrêter un instant sur Mademoiselle Lenormand, dont la fortune reposa sur une habile utilisation de son image publique. Tout au long de sa carrière, Mademoiselle Lenormand vit défiler dans son salon des personnages de la stature de Robespierre, Marat, Danton, Napoléon Bonaparte, et devint la confidente de l’Impératrice Joséphine.

La “Sibylle des Salons”, ainsi qu’elle était surnommée, fut imitée par d’innombrables devineresse qui s’efforcèrent de tirer profit de leur art en prétendant être les élèves et les disciples voire les héritières de la plus illustre sibylle. D’autre créèrent de nouvelles cartes de cartomancie basées sur les Tarots égyptiens d’Etteilla ou sur les cartes à jouer françaises. (Le "Tarot d'Etteilla" a d'avantage d'apparentées avec le "Tarot Mantegna" qu'avec le "Tarot de Marseille").


Vers 1850, la divination par le biais des tarots et des cartes à jouer était devenue une technique divinatoire extrêmement populaire dans l’Europe entière. Et à cette même époque, la renaissance des philosophies ésotériques redonna vigueur aux arts magiques et à la cartomancie en particulier. La diffusion de cette pratique, toutes classes sociales confondues, s’accompagna d’une vaste production industrielle pour répondre aux attentes du public.

Au cours du XIXe siècle furent imprimés, essentiellement en France, en Italie et en Allemagne, au moins une centaine de jeux qui dans la plupart des cas n’avaient qu’un rapport lointain avec les Tarots mais davantage avec les livres d’interprétation des songes ou avec la "Kabbale du loto".

On peut affirmer que depuis lors cette mode a conservé toute sa vigueur, si l’on excepte les périodes de guerre. A tort selon nous, les sociologues s’interrogent aujourd’hui sur les raisons de ce qu’il est convenu de définir aujourd’hui comme un retour de l’irrationnel mais qu’il convient d’envisager davantage comme une présence qui témoigne d’un besoin constant, dans l’histoire occidentale, de plus grandes certitudes.

Au-delà de l’aspect divinatoire, il convient par ailleurs de tenir compte de la dimension artistique. La création des cartes a en effet souvent vu à l’œuvre de très talentueux dessinateurs et peintres dont le travail témoigne, non seulement d’un goût personnel, mais également d’une sensibilité artistique et des courants des époques dans lesquelles il s’inscrit.

On voit apparaître une tradition de la "taromancie" seulement après la première guerre mondiale. Encore une fois, les époques troublées, les moments difficiles à traverser sont des périodes où les cartes sont le plus souvent consultées.

Entre les deux guerres, le tarot passent aux mais des initiés (sectaires), théosophes modernes, gourous, illuminés, mystiques de tout acabits... Après la deuxième guerre mondiale seulement le tarot commence à être étudié avec de plus en plus de sérieux et de rigueur...

Vers 1950-1960, des passionné des tarots, des collectionneurs, des historiens, se penchent sur le mystères des origines des tarots et aussi sur la prétendue tradition "divinatoire" associée au tarot... Ces chercheurs iront de découverte en découvertes stupéfiantes... S'ils découvrent que les tarots ésotériques sont assez récents, ils découvrent aussi et surtout que les origines du tarot posent énigme, et encore, que la divination est une affaire qui remonte à la nuit des temps (avec ou sans tarot).

En 2012, des documents attestent enfin, sans conteste, que les tarots ont été utilisés à des fins initiatiques en Italie dès le milieu du XVI ème siècle. Et dès 1630, des jeu de cartes à jouer ont été modifiées en sorte d'en faire des jeux destinés à la cartomancie...  Les cartes à jouer (et peut-être les tarots) ont été considéreés comme des outils initiatiques ou divinatoires, en Allemagne, en Belgique et en Suisse dès cette époque...

Une étude sérieuse sur l'origine des tarots de Marseille et la divination exige absolument une attention particulière à l'élaboration des cartes à jouer commune... En vérité, l'histoire de la productions de ces deux jeux sont intimement liés. L'histoire des tarots ne se comprend qu,en suivant l'histoire de la tradition des cartiers... et le rôle des cartiers n'étaient pas de créer des jeux ésotérique, mais d'abord et avant tout, de produire des jeux "pour jouer", des jeux typés et attrayants...


Cartes provenant d’un jeu de 52 cartes, Pays-Bas du Sud, 1470-1480

Nous savons que les Tarots de Marseille ne viennent pas de Marseille...

Nous savons que le modèle traditionnel du Tarot de Marseille est nés en Bourgogne (Avignon, Lyon, Dijon). et qu'il s'est élaborer chez des cartiers en Suisse. (Les maîtres-cartiers, de toujours ont considérer les images du Tarot comme étant d'origines "médiévales", non pas d'origines "égyptiennes").


Nous savons aussi, que le Tarot de Nicolas Conver n'a pas été conçu de manière à satisfaire les exigences d'une traditions ésotérique ou divinatoire... Par contre, il a été pratiquement prouvé que les Tarots Parisiens (Anonyme, Viéville et Noblet), sont nés d'une tradition ésotérique (greco-romaine-néo-platonicienne). Les coloris choisis par Conver sont une fantaisie de cartier, non pas dû à une connaissance et un respect de quelques correspondances ésotériques!

Il faut savoir que les bohémiens n'ont peut-être pas ramener les tarots en Italie, mais il est irréfutable que la pratique de la divination par les cartes (et les tarots) étaient d'abord l'affaire des bohémiens en Europe.

Et finalement  si vous êtes intéressé à être initié aux mystères et secrets du tarot, il faut d'abord comprendre que la tradition de la divination "par les tarots" est une affaire récente ; tandis que la divination (et des initiations) à l'aide de symboles ou d’icônes est une pratique qui remonte à la nuit des temps...

Donc, plus que jamais, c'est l'heure de remettre les pendules à l'heure et de réviser l'histoire des tarots, vu sous ces nouveaux éclairages...

JOYEUSES PÂQUES !


Que la lumière soit...
Que votre route s'éclaire...
Que votre esprit s'illumine...
Que votre talent brille...
Que votre beauté rayonne...
Que votre cœur soit un soleil radieux!

Je vous encourage dans votre queste de l'œuf philosophal...
Cet œuf qui contient toutes les lumières du monde!
Maintenant, en ce printemps revivifiant qui s'installe
Faisons place à la primauté de la Lumière sur les Ténèbres

Je vous souhaite un beau Dimanche de Pâques

votre humble serviteur : Walter Boralis

samedi 30 mars 2013

COURT DE GEBELIN & LE TAROT


C’est à la fin du XVIIIème siècle, que Court de Gebelin, pasteur protestant et franc-maçon, crut découvrir dans les atouts du Tarot les images d’un livre secret venu des anciens égyptiens et que prit naissance, en France, une tradition ésotérique, aujourd’hui très largement diffusée.

Ces rêveries ne devaient pas rester lettre morte, car deux ans plus tard, un cartomancien du nom d’Etteilla proposait sa méthode de divination par le Tarot et inventait un jeu de soixante dix huit cartes, dont on trouve encore de nos jours des exemplaires dérivés du modèle "dit" égyptien dont il est le créateur.

Un autre personnage, Alphonse Louis Constant, plus connu sous le nom d’Eliphas Levi, publia en 1856 le « Dogme et Rituel de la Haute Magie » et ce livre fut le départ d’un nouveau courant d’interprétation plus franchement tournée vers l’occultisme. 

Selon Eliphas Levi, le Tarot recèle un secret qu’il lui appartenait de révéler en évoquant la Kabbale, Hermès Trismégiste, l’alchimie, l’astrologie, et tutti quanti...

Ce nouveau courant de pensée atteint son apogée dans les dernières années du XIXème siècle avec les figures de Stanislas de Guaïta et Gérard d’Encausse, dit Papus, auteur du Tarot des bohémiens en 1889.

Chaque fois que les cartes sont mises sur la table, on n’échappe pas à la sentence catégorique selon laquelle le Tarot remonte à la "nuit des temps" – et on n’en doute pas – et qu’il est d’origine égyptienne (je vous fais grâce de ceux qui prétendent qu’il est d’origine atlante).

Or, tout démontre qu’il n’en est rien. Si la cabale et l’astrologie sont choses communes chez les Juifs et les Arabes, on ne trouve par ailleurs nulle trace de l’usage du Tarot ou de cartes à jouer.

Il est même presque certain qu’en Europe la divination par les cartes est assez moderne.

Peucer a publié, en 1552, un traité des diverses méthodes connues de lire dans l’avenir ; le « Commentarius de precipuis divinationum generibus », dans lequel il ne dit rien de la divination par les cartes. Le "Dictionnaire de Bichelet" de 1733 est tout aussi silencieux dans ses parties traitant de l’astrologie et autres formes de "mancies".

L’Origine Égyptienne du Tarot... selon Court de Gébelin


(« Le Monde Primitif », Antoine Court de Gébelin, Sorin, Paris, 1781)

Au 18ème siècle, dans le « Monde Primitif » de Court de Gébelin, au tome VIII, pages 365 et suivantes, a été émise pour la première fois, l’opinion qui assigne aux cartes une origine antique.

Court de Gébelin commence par une phrase à effet :

« Si l’on entendait annoncer, dit-il, qu’il existe encore un ouvrage des anciens Égyptiens, un de leurs livres échappé aux flammes qui dévorèrent leurs superbes bibliothèques, et qui contient leur doctrine la plus pure sur des objets intéressants, chacun serait sans doute empressé de connaître un livre aussi extraordinaire. Certainement. Eh bien, ce livre de la vieille Égypte, c’est le jeu de tarots, ce sont les cartes ».

Court de Gébelin semble être entré en contact avec le tarot lors d’une visite chez une amie, Madame Helvetius :

Ce qui attira le plus l’attention de Court de Gébelin, lors de la découverte du Tarot, ce furent les hiéroglyphes du vingt et unième feuillet qui porte pour titre le monde. Cette carte, qui n’est autre chose que la clef même de Guill. 

Postel, représente la vérité nue et triomphante au milieu d’une couronne divisée en quatre parties par quatre fleurs de lotus. Aux quatre coins de la carte on voit les quatre animaux symboliques…. 

Ces quatre figures qu’une tradition incomprise par l’Église même donne pour attributs à nos quatre évangélistes, représentent les quatre formes élémentaires de la Kabbale, les quatre saisons, les quatre métaux et enfin les quatre lettres mystérieuses du "Tora" des juifs, de la roue d’Ézéchiel, la "Rota", et du "Taro" qui, suivant Postel, est la clef des choses cachées depuis l’origine du monde.

Il faut remarquer aussi que le mot "Taro" se compose des lettres sacrées du monogramme de Constantin, un "Rho" grec croisé par un "tau" entre l’alpha et l’oméga qui expriment le commencement et la fin, selon R. Merlin, dans son article « Origine des cartes à jouer » (in Revue archéologique, vol. 1).

« Le fait est cependant très vrai : ce "Livre Égyptien", seul reste de leurs superbes Bibliothèques existe de nos jours : il est même si commun, qu’aucun Savant n’a daigné s’en occuper ; personne avant nous n’ayant jamais soupçonné son illustre origine.

Ce Livre est composé de LXXVII feuillets ou tableaux, même de LXXVIII, divises en V classes, qui offrent chacune des objets aussi variés qu’amusants et instructifs : ce Livre est en un mot le "Jeu des Tarots", jeu inconnu, il est vrai, à Paris, mais très-connu en Italie, en Allemagne, même en Provence, et; aussi bizarre par les figures qu’offre chacune de ses cartes, que part leur multitude. »

Voici la route curieuse que Gébelin fait tenir à ce jeu pour arriver jusqu’à nous :

« Dans les premiers siècles de l’Église, dit-il, les Égyptiens étoient très-répandus à Rome ; ils y avoient porté les cérémonies et le culte d’Isis, par conséquent le jeu dont il s’agit. Ce jeu, intéressant par lui-même, fut borné à l’Italie, jusqu’à ce que les liaisons des Allemands avec les Italiens le firent connoitre de cette seconde nation, et jusqu’à ce que celles des comtes de Provence avec l’Italie, et surtout le séjour de la cour de Rome à Avignon, le naturalisèrent en Provence et à Avignon. S’il ne vint pas jusqu’à Paris, il faut l’attribuer à la bizarrerie de ses figures et au volume de ses cartes, qui n’étoient pas de nature à plaire à la vivacité des dames françaises ; aussi fut-on obligé, comme nous le verrons bientôt, de réduire excessivement ce jeu en leur faveur. »


À la suite de la dissertation de Gébelin, on trouve un mémoire plus bizarre encore, expliquant que le mot tarot signifiait Le Chemin royal de la vie, du mot tar, qui veut dire chemin, et du mot "ro", "ros", "rog", qui veut dire roi, royal.

Cette application n’a pas grande valeur, si on la met en regard de celle-ci :

« Ce livre (ce livre du destin, ce jeu sacré) paraît avoir été nommé "A-ROSH", de la lettre "A", doctrine, science, et de "ROSCH", "Mercure", qui, joint à l’article "T", signifie "tableaux de la doctrine de Mercure" ; mais comme "rosh" veut aussi dire "commencement", ce mot "ta-rosh" fut particulièrement consacré à sa cosmogonie; de même que l’Ethotia (histoire du temps) fut le titre de son astronomie, et peut-être qu’Athotes, qu’on a pris pour un roi fils de Thot, n’est que l’enfant de son génie et l’histoire des rois d’Égypte. »

(Extrait du mémoire d’un officier général, M. le comte de M…., intitulé « Recherches sur les tarots et sur la divination par les cartes des tarots », que Court de Gébelin a inséré à la suite de sa propre dissertation.)

À l’article V, intitulé : « Comparaison des attributs mythologiques des tarots avec les valeurs qu’on assigne aux cartes modernes pour la divination », le même auteur anonyme écrit :

« Nos diseurs de bonne fortune, ne sachant pas lire les hiéroglyphes, en ont soustrait tous les tableaux, et changé jusqu’aux noms de coupe, de bâton, de denier et d’épée, dont ils ne connoissoient ni l’étymologie ni l’expression ; ils ont substitué ceux de cœur, de carreau, de trèfle et de pique; mais ils ont retenu certaines tournures et plusieurs expressions consacrées par l’usage, qui laissent entrevoir l’origine de leur divination. Selon eux, 

Les cœurs (les coupes), annoncent le bonheur;
Les trèfles (les deniers), la fortune;
Les piques (les épées), le malheur;
Les carreaux (les bâtons), l’indifférence et la campagne.

Le neuf de pique est une carte funeste. » Celui de cœur, la carte du soleil ; il est aisé d’y reconnoître le grand neuf, celui des coupes : de même que le petit neuf dans le neuf de trèfle, qu’ils regardent aussi comme une carte heureuse.

Les as annoncent des lettres, des nouvelles : en effet, qui est plus à même d’apporter des nouvelles que le borgne (le soleil), qui parcourt, voit et éclaire tout l’univers?

L’as de pique et le huit de cœur présagent la victoire; l’as couronné la pronostique de même, et d’autant plus heureuse qu’il est accompagné des coupes ou des signes fortunés.

Les cœurs, et plus particulièrement le dix, dévoilent les événements qui doivent arriver à la ville. La coupe, symbole du sacerdoce, semble destinée à exprimer Memphis et le séjour des pontifes.

L’as de cœur et la dame de carreau annoncent une tendresse heureuse et fidèle. L’as de coupe exprime un bonheur unique, qu’on possède seul; la dame de carreau indique une femme qui vit à la campagne, ou comme à la campagne : et dans quel lieu peut-on espérer plus de vérité et d’innocence qu’au village ?

Le neuf de trèfle et la dame de cœur marquent la jalousie. Quoique le neuf de denier soit une carte fortunée, cependant une grande passion, même heureuse, pour une dame vivant dans le grand monde, ne laisse pas toujours son amant sans inquiétudes, etc., etc. On trouveroit encore une infinité de similitudes qu’il est inutile de chercher : n’en voilà déjà que trop.»

Dès cette publication, en 1781, Court de Gébelin érudit original, n’aura de cesse de défendre ardemment sa thèse donnant au Tarot comme origine certaine l’Égypte...

En une cinquantaine de pages, il fonde et décrit le système tarologique qui sera à la base des développements modernes du Tarot occultiste.

Reste la question de l’auteur anonyme que Gébelin rapporte dans son livre...

Dummett, Depaulis et Decker l’identifient, dans leur ouvrage « L’origine du Tarot Occulte », comme étant Louis-Raphaël-de-Lucrèce Fayolle, comte de Mellet (1727-1804).

Proche de Gébelin, et de ses intérêts pour la philosophie occulte, cet homme était gouverneur du Maine et du Perche et Grand Croix de l’Ordre de Saint-Louis.

C’est au comte de Mellet que l’on doit ainsi les premières considérations sur l’usage divinatoire de ce qu’il appelle le « Livre de Thot ».

Nous ne disposons pas de plus d’information, et ne pouvons donc déterminer d’où il tirait ses thèses sur l’origine du tarot. Mais sa relation avec Court de Gébelin est sans doute suffisante, puisque les deux textes, bien que différents, mènent aux mêmes conclusions.

Boiteau lui-même, dont tout le système repose sur la supposition que les cartes sont entrées en Europe comme moyen de divination avec les Bohémiens venant de l’Inde, est obligé d’avouer que même, « sous Louis XIV, on ne voit pas que les cartes aient Joué leur rôle à la cour dans les consultations » des magiciens. Il considère le tarot comme le père et source de toutes les autres cartes, et cependant il nous raconte comment Alliette s’inspira de Court de Gébelin, et inventa, vers 1783, la méthode divinatoire par ces cartes "égyptiennes".

L’explication de Gébelin, le raccord entre les hiéroglyphes et le tarot, peut s’expliquer, selon moi, par la frénésie de l’époque pour les mystères de ces signes déjà étudiés par Athanasius Kircher et d’autres, mais toujours restés impénétrables. Nombreux sont ceux qui ont tenté d’y voir – avant même un langage – une forme symbolique et mystique renfermant les connaissances de civilisations élevées et "sages".

Ainsi, Gébelin, déjà plongé dans l’hébreu et les écrits de la Kabbale, ne put-il rester à l’écart.

A-t-il joué au chaote syncrétique avant l’heure ? A-t-il eu une intuition géniale en percevant dans ces images, des formes archétypales communes aux hommes et transmises de manière atavique ?

Possible ou pas. Mais comme tout inventeur génial, et comme nous allons le voir, il fut pillé et la voie qu’il a tracée se termine aujourd’hui en chemin bourbeux et glissant de lettres, de chiffres et de symboles abscons censés, justement, élucider le "parler" intuitif de la divination par les cartes. La tradition ésotérique du Tarot était née.

Etteilla, pseudonyme de Jean-François Alliette :

« Le Tarot est un livre de l’Égypte ancienne dont les pages contiennent le secret d’une médecine universelle, de la création du monde et de la destinée de l’homme. Ses origines remontent à 2170 avant J.-C. quand dix-sept magiciens se réunirent en un conclave présidé par Hermès Trismégiste. Il fut ensuite incisé sur des plaques d’or placées autour du feu central du Temple de Memphis. Enfin, après diverses péripéties, il fut reproduit par de médiocres graveurs du Moyen-Age avec une quantité d’inexactitudes telle que son sens en fut dénaturé ».

C’est ce même Etteilla qui "restitua" au Tarot ce qu’il estimait être leur forme primitive. Il en remodela l’iconographie et le baptisera, à la suite du texte de Gébelin, « Livre de Thot ».



Tarot dit "de Gebelin"

Court de Gébelin et les Philalèthes

Antoine Court, dit "De Gébelin", fut un savant respecté, un encyclopédiste, mais aussi un "mystificateur involontaire". Court de Gébelin était le fils du pasteur Antoine Court, figure éminente du protestantisme français au 18ème siècle. Vers 1771, il entre en franc-maçonnerie en adhérant à la loge les « Amis Réunis » et rejoint ensuite la loge des « Neuf Sœurs ».

Il y côtoie Voltaire, Benjamin Franklin, avec qui il participe à une publication consacrée à la défense de l’indépendance des Américains et paraissant sous le titre de Affaires de l’Angleterre et de l’Amérique.

En 1780 il fonde la "Société Apollonienne" qui deviendra plus tard le "Musée de Paris", un établissement littéraire qui finira par sombrer faute de fonds.

Antoine Court sera également membre de l’ordre des Philalèthes et probablement de celui des "Elus Cohens".

Les Philalèthes furent fondés par Savalette, vers 1773, comme une véritable académie de recherches maçonniques, qui se consacre à l’étude de la "science maçonnique". Ce rite proposait douze grades proposant à ses membres des instructions et des études sur les diverses branches des sciences hermétiques : alchimie, kabbale, symbolisme.

Les Philalèthes regroupèrent des personnages comme Duchanteau, hébraïsant et kabbaliste, auteur d’un immense calendrier magique, et qui devait mourir des suites d’une expérience alchimique faite dans la loge des Amis Réunis, le Marquis de Chefdebien, l’alchimiste Clavières, le Prince d’Assia de Beverley, le Prince de Hesse, Condorcet, le Vicomte de Tavannes, Willermoz...

Il est à noter que parmi les savants, de tous horizons, qui accompagneront Bonaparte dans son expédition égyptienne, nombreux seront membres de divers groupes maçonniques, dont les Philalèthes qui seront à l’origine de la fondation des rites égyptiens de la franc-maçonnerie au 19ème siècle.

Court de Gébelin publiera, entre 1773 et 1782, les neuf volumes de son Monde primitif, analysé et comparé avec le monde moderne, dans lesquels il analyse et commente les manifestations du génie humain.

Il finira ruiné, ses créanciers feront saisir le "Musée", en même temps que toutes ses archives vendues aux enchères.

Le Tarot occultiste selon Eliphas Lévi


Tarot dit "de Gebelin"

Au 19ème siècle, Eliphas Lévi, dans son « Dogme et Rituel de la Haute Magie » (Paris, 1861), se chargea de restaurer le Tarot en critiquant le système d’Etteilla et en affirmant que les 22 Triomphes correspondaient aux 22 lettres de l’alphabet hébreu !

« Les Arcanes du Tarot », publiées par Papus dans « Le Tarot Divinatoire », et suivant l’ordre donné par Eliphas Levi, sont associés, outre aux lettres hébraïques, à des lettres en sanskrit et à des hiéroglyphes égyptiens !


Archéomètre de Saint-Yves d’Alveydre

Nous voyons également des symboles décrits comme étant ceux de l’Archéomètre de Saint-Yves d’Alveydre... Ce livre contient effectivement une mise en correspondance mystique des lettres de divers alphabets.

Papus, moins sobre que Gébelin, laissera s’écouler toute la poésie hermétique dont il était coutumier afin de nous éclairer sur l’origine du Tarot :

« Les anciens Égyptiens possédaient un livre dont chaque feuillet d’or. Ce livre servait à enseigner l’astronomie et l’alchimie aux jeunes prêtres et à donner les clefs des adaptations symboliques à tous les initiés.

Les bohémiens ont porté ce livre jusqu’à nous et la clef de la Thorah, la Rota d’As-Taroth, est devenue un vulgaire jeu de cartes.

Nous avons écrit un volume pour donner la clef de ce livre, mais aujourd’hui nous donnons seulement les figures des Arcanes majeurs, dont chacune forme un véritable talisman »

(« Le livre de la chance bonne ou mauvaise », Papus, Paris, 1880).

Mais, malgré les recherches approfondies des historiens sur la question, nulle trace, avant Lévi (donc vers le milieu du 19ème siècle) d’une association entre lames du tarot, hiéroglyphes et/ou lettres hébraïques...


Dans le tableau ci-dessus, proposé par Papus, nous pouvons observer la correspondance entre les lettres hébraïques (première partie à gauche), les figures hiéroglyphiques et l’alphabet des mages, ainsi que la symbolique alchimique attribuée aux lames du tarot.

Le 19ème siècle semble avoir été hanté par l’étude des langues proche-orientales – hébreu et l’hiéroglyphique égyptien surtout.

Nombreux sont les savants, chercheurs ou simples amateurs, qui ont tenté, avant l’élucidation de la Pierre de Rosette, de percer le mystère des hiéroglyphes.

Les théories, parfois les plus loufoques, sont nombreuses, ainsi dans les « Fragments de Lecourt » nous lisons :

« En examinant l’alphabeth de la langue hébraïque, en étudiant la signification de chacune de ses lettres, la première observation qui devait se présenter, et cependant celle à laquelle personne, je crois, n’a pensé, pas même Court de Gébelin, c’est que ces caractères conservent les éléments d’un alphabet zodiacal; alphabeth par conséquent primitif, antérieur à celui de vingt-deux et même de seize lettres ».

Dans un ouvrage paru en 1896, « Les XXII Lames hermétiques du Tarot », R. Falconnier tente de reconstruire les "lames originelles" égyptiennes et donne, en lieu et place des numérations latines traditionnelles, les glyphes de l’alphabet des mages.

Je reporte ici le curieux à la reproduction de ces lames qui a été mis à disposition sur Scribd : Les XXII Lames Hermétiques du Tarot Divinatoire

Avec ce rapide survol de l’égyptomanie tarologique, on comprendra qu’il est très hasardeux de tenter de tracer une ligne de transmission continue de l’Égypte antique à nos jours, en passant par les bohémiens, les Indiens, les Atlantes et autres peuples joueurs de l’univers.

Ainsi, "de tout temps" (j’insiste car cela a de l’importance), l’homme aurait joué à la divination au moyen de cartes sous différentes formes, ayant évolué de l’or le plus fin au carton de sous-bock bon marché, pour finir en programme virtuel sur le net ?

Or, il est certain qu’avant Court de Gébelin, aucune trace n’existe d’une filiation supposée avec l’Égypte, après lui, c’est l’inflation dont Etteilla, Levi, Papus, de Guaïta… etc...

Et cependant, le tarot marche ! Il marche, avec ou sans, ou malgré, les lettres hébraïques, hiéroglyphes, sigils, et autres gribouillis ornant ses lames. Pourquoi ? Comment ?

Personne n’a encore répondu, personne ne le fera probablement. Que ce soit Court de Gébelin, ou un autre, qui ait décidé d’égyptianiser le tarot importe, finalement, peu. Peu, si l’on ne devient pas sectaire de la chose et qu’on laisse parler les cartes sans les étouffer dans une inflation de symboles baroques...