La langue
des oiseaux est une langue secrète qui consiste à donner un sens autre à
des mots ou à une phrase, soit par un jeu de sonorités, soit par des jeux
de mots (verlan, anagrammes, fragments de mots…), soit enfin par le
recours à la symbolique des lettres.
Autrement
dit, la langue des oiseaux est une langue tenant de
la cryptographie se fondant sur trois niveaux :
La
correspondance sonore des mots énoncés avec d’autres non dits permet un
rapprochement sémantique qui constitue un codage volontaire, soit
pour masquer une information, soit pour amplifier le sens du mot premier.
Les jeux
de mots utilisés permettent un codage davantage subtil et ésotérique,
les mots se reflètent ad libitum : verlan, anagrammes,
fragments de mots, etc.
La graphie enfin,
fondée sur la symbolique mystique des lettres des mots énoncés, peut
renvoyer à un codage iconique renforçant le sens des mots, comme dans les hiéroglyphes.
Longtemps
langue d’initiés, système de codage occulte lié à l’alchimie et
à la poésie hermétique (de Hermès, dieu patron des
phénomènes cachés), la langue des oiseaux acquiert une dimension psychologique
au xxe siècle, avec les travaux de Carl Gustav Jung ou
de Jacques Lacan, qui y voient un codage inconscient permettant
d’amplifier le sens des mots et des idées.
Le Dictionnaire
des langues imaginaires recense plusieurs entrées en lien avec la langue
des oiseaux : langage des animaux, langue des
corbeaux, langage de l'extase (mystique), langage
ludique, langage du rossignol, langue secrète... Néanmoins il existe
des langues farfelues (comme la langue des corbeaux) sans fondements
historiques, sûrement inventions de cas pathologiques. Il faut ainsi
différencier les « langues secrètes » des langues farfelues, des
langues inventées (la langue des grenouilles d'Aristophane), des jargons et dialectes et
des imitations (« langue des animaux » dont Mircea
Eliade dit qu'elle consiste à « imiter leurs cris, surtout les
cris d'oiseaux »). Au final, c'est l'existence d'un code caché qui permet
de départager ces registres et de repérer l'originalité de la langue des
oiseaux.
Principe
Il
n'est pas interdit de voir dans l'expression de « langue des
oiseaux » une analogie avec sa dimension aérienne puisqu'au
final elle consiste à faire « décoller » le son, à l'entendre plutôt
qu'à le lire. Il s'agit donc de ne plus se fier à l’« écrit », mais
aux « cris », entendus ceux des oiseaux, des mots chantés donc.
L'exemple
suivant permet d'en comprendre le principe :
phrase
codée : « Vois si un mets sage se crée, dit sans les
mots »
phrase
décodée : « Voici un message secret disant les mots »
Le
message codé comporte un ensemble d'éléments à interpréter :
« vois », « un mets sage », « se crée »,
« dit sans les mots ». À la différence de l'amphibologie (phrase
qui peut avoir deux sens comme dans « J'ai tué un éléphant en
pyjama » - « je l'ai tué alors que j'étais en pyjama ou « j'ai
tué un éléphant qui avait un pyjama »), exemple qui ne prend pas en compte
la logique bien entendu, la phrase en langue des oiseaux joue sur l'homophonie des
mots la composant.
Quant
à l'interprétation, elle dépend du contexte et des récepteurs. Le
chapitre Fondements historiques livrera les interprétations qui
pouvaient exister au sein des groupes usant de la langue des oiseaux. Cet
exemple peut être interprété comme une explication codée de ce qu'est la langue
des oiseaux: elle nous encourage à dépasser les lettres, mais à
privilégier bien plutôt la vision (« vois ») car s'y cache un secret,
un savoir : « se crée » (au sens : d'un message en naît,
ici le mot premier « secret » peut être conservé), un savoir
intangible car « dit sans les mots ».
Dans
cette langue où prime le "double sens", permis par
l'homophonie (et d'autres mécanismes que nous analyserons plus loin); le
son, en somme, « résonne » et « raisonne ». L'analogie avec
les oiseaux est avant tout physique : les sons volent a
contrario des lettres, qui restent fixes.
Le proverbe populaire « Les
écrits restent les paroles s'envolent »témoigne également de cette
symbolique. La langue des oiseaux nous invite donc à trouver le sens profond,
caché, de la phrase, ce que Rabelais (utilisateur avéré de cette
langue) appelait la « substantifique moëlle ».
Origine de l’expression
L’expression
« langue des oiseaux » (on emploie également
l’expression synonyme de « langue des anges ») a une
origine confuse et plurielle :
une
première interprétation possible est qu’elle renvoie au fait que les oiseaux
sifflent des mélodies, des musiques pour l’oreille humaine, mais dont on
ne réalise pas le sens caché.
C’est
l’idée d’une langue sacrée, cachée, que l’homme n’« entend pas »
(dans le sens de comprendre). Grasset d'Orcet reprend ce point de vue
(voir ci-après).
Cette
interprétation renvoie également au mythe grec de Tirésias qui,
apercevant un jour deux serpents s'accouplant sur le mont Cithéron (ou sur le
mont Cyllène), de peur, tua la femelle d'un coup de bâton. Tirésias fut alors
transformé en femme.
Sept
ans plus tard, il revit des serpents accouplés. Il tua alors le mâle pour redevenir
un homme. Tirésias fut ensuite confronté aux dieux Zeus et Héra,
qui se disputaient pour savoir si l'homme éprouvait un plus grand plaisir dans
l'amour que la femme. Consultant Tirésias pour sa qualité d’initié aux deux
sexes, ayant connu les deux situations, le jeune homme répondit que selon lui
le plaisir des femmes est neuf fois plus intense que celui des hommes.
Héra,
outragée, le frappa alors de cécité. Zeus compensa ensuite le
châtiment infligé en accordant à Tirésias le don de prophéties infaillibles et
celui de comprendre le langage des oiseaux.
On
peut voir également dans le dieu Hermès, Mercure chez les
alchimistes, le créateur de la langue des oiseaux. Ailé, il représente le
principe volatil et ésotérique du mystère de la Nature.
Zeus
peignant les papillons, Hermès à ses côtés, l'inspirant
l’expression
pourrait être également une déformation phonétique historique
(« synchronique ») du nom d’une confrérie secrète
appelée : « langue des oisons » (en référence au petit de
l’oie, terme devenu archaïque), nommée ainsi en raison de la patte d’oie que
portent sur l’épaule les constructeurs de cathédrales.
Ceux-ci
utilisaient sur les chantiers un jargon permettant de conserver les
techniques ancestrales de la « Fabrique ». Cependant, après la « Grève
des Cathédrales » (suite à la proclamation des Templiers comme non
grata en France la 19 mars 1314), la majeure partie des ouvriers initiés
fuient l’Inquisition française, pour l’Italie du nord (où ils préparent
la Renaissance) et le Moyen-Orient.
Après
le relâchement de l’Inquisition, ces initiés, de retour en France, surnommés
« sarrasins », diffusent leurs connaissances au moyen de systèmes de
codages secrets assimilés rapidement à des sciences occultes, en premier
lieu : le Tarot de Marseille, l’"art goth" (art de la
lumière, qui deviendra l’art gothique), l’alchimie et la langue des
oiseaux.
Dès
lors la langue des oisons, réceptacle du savoir traditionnel des constructeurs
de cathédrales se mue en langue des oiseaux qui de ce fait entre dans la
clandestinité et devient langue d’initiés. Elle gagne en complexité afin de ne
pas attirer la censure et l’anathème du clergé, recourant même
aux langues anciennes comme le grec. Les mots se chargent ainsi de sens
doubles, permettant de communiquer des informations tout en n'éveillant pas de
soupçons et tout en utilisant les moyens de communication de l’époque (poésie,
inscriptions, chants, comptines…)
Le symbole
En
jouant sur les lettres, les sons ou les sens, la langue des oiseaux a trait
au symbole. Le symbole, du grec « seumbolon », selon la
tradition hermétique et gnostique, ne peut être saisi que dans une image
(analogie, parabole) ou une correspondance (métaphore).
En
effet, le discours herméneutique détruit la dimension symbolique, expliquant une
réalité qui échappe à la raison. En soi, le jeu de mots est la meilleure
façon d’approcher la dualité paradoxale du symbole.
La
langue des oiseaux est donc intimement liée au « langage des
symboles ». La différence des termes exploite en effet toute la nature de
l’opération de transformation entre les deux plans : si la langue renvoie
à un système codifié (phonétique, linguistique...), le langage lui est une
faculté qui ne répond à aucun système.
Néanmoins
les analogies, qu’exploite la langue des oiseaux, existent :
Comme
les mots, les symboles ont un sens, voire plusieurs sens.
Comme
les mots, les symboles ont un passé. L’étymologie du mot renvoie à sa
valeur première ; le symbole également possède une lignée d’images.
Comme
le mot, dont on connaît le caractère arbitraire depuis Ferdinand de
Saussure (il ne représente pas la chose qu’il désigne), le symbole décrit
lui une réalité émotionnelle avant tout ; de même que le mot qui a une
charge affective.
Au
final, les mots sont des symboles dans la langue des oiseaux, qui mènent vers
des enseignements occultes. L’alchimie, qui est une mise en images et en textes
du Grand Œuvre, utilise ainsi le symbolisme des mots pour tisser des
correspondances entre les concepts. Ce codage assure la pérennité des concepts
et images, car seule l’initiation peut fournir la clé des rapports entre les
mots.
Tout
comme le symbole (qui est un raccourci par l’image), ce langage des mots fait
prendre des raccourcis de pensée. La langue des oiseaux fonctionne de la même
manière que les signes en mathématiques ou en physique, les équations
par exemple.
Dimension transculturelle de la langue
des oiseaux
La
langue des oiseaux n’est pas dépendante d’une langue précise ; en réalité
chaque langue possède un système de codification analogue fondé sur :
le lexique, la syntaxe, la phonétique et la sémantique.
Les koans japonais
par exemple sont des jeux sur le double sens, à la limite de l’absurde. C’est
bien ce que cherchent les auteurs de la langue des oiseaux : donner
l’apparence de l’absurde afin de dissimuler le message. Aujourd'hui encore, le kōan
est utilisé dans l'enseignement oral de la tradition Soto pour
suggérer « ce qui ne peut être dit avec des mots ».
Par
exemple : un disciple ayant demandé au maître Joshu : « Un
chien a-t-il la nature de Bouddha ? » Maître Joshu
répondit : « Mu ! » – Mu ! est
le wato (expression désignant l’absence de sens d’une question) de ce
kōan.
Néanmoins
les jeux de mots d’une langue donnée ne peuvent être compris que par
ceux la maîtrisant. Aucune catégorie linguistique ne peut pénétrer dans la
symbolique verbale d’une autre ; la traduction est en effet
inefficace à restituer le double codage. Nous ne donnerons donc dans cet
article que des exemples tirés de la langue française.
Fondements
historiques
La divination et les auspices
Dans
l'Antiquité latine, les oiseaux passaient pour messagers des dieux.
L'auspicie, divination par le vol des oiseaux dans un carré magique projeté sur
le sol (ou "templum") permettait de comprendre les intentions
divines.
Les « auspices » (de aves spicere :
« observer les oiseaux ») étaient une méthode avant tout visuelle qui
prenait en compte également le cri des oiseaux observés. Depuis les temps
immémoriaux, les cris des oiseaux sont une métaphore adéquate pour
l'esprit humain, dans sa tentative de cerner les messages codés de la Nature.
Sous l'influence chrétienne, la langue des oiseaux deviendra « langue des
anges », gardant ainsi toute la dimension de communication entre le monde
visible et invisible qu'elle avait à l'origine.
Dès
lors, certains auteurs attestent, dès l'Antiquité, de l'existence d'une langue
secrète réservée aux « divium » (« devins »), initiés au
messages divins. Diodore de Sicile, dans sa Bibliothèque historique,
(Livre V, 31) explique qu'il existe un langage des dieux:
« Ils
disent, en effet, que … ces hommes [les druides] qui connaissent la nature
divine et parlent, pour ainsi dire, la même langue que les dieux … »
Virgile dans
l'Enéide (livre III, 360) nous apprend que le « langage des
oiseaux » est une des compétences du devin :
« Fils
de Troie, interprète des dieux, toi qui entends les volontés de Phébus, les
trépieds, les lauriers de Claros, toi qui comprends les astres et le langage
des oiseaux et les présages qu'annonce leur vol rapide,allons, parle »
Très
tôt cette langue est attestée, comme à part des langues humaines :
« Ceux
qui affirment que la philosophie a commencé chez les Barbares
expliquent que celle-ci a pris chez chacun une forme particulière. Ainsi ils
disent que les gymnosophistes et les druides philosophaient en énonçant
des sentences énigmatiques (Diogène Laërce, Vies et doctrine des
philosophes célèbres, Livre I, prologue, 6). »
Néanmoins,
cette langue peut avoir une origine linguistique réelle. Iambule, écrivain grec
(ier siècle av. J.-C.) dans un ouvrage fantastique disparu, écrit
que les habitants d'une île de l'Océan Indien ont une langue bifide (coupée en
deux) permettant de tenir en même temps deux conversations, chaque lettre
renvoie a un son (28 sons/lettres) de 7 caractères qui peut être formé de
manières différentes. Diodore de Sicile, dans le livre II de
sa Bibliotheca, résume ses propos :
« Leur
langue a aussi quelque chose de particulier qui leur vient en partie de la
nature et en partie d'une opération qu'ils y font. Elle est fendue dans sa
longueur et paraît double jusqu'à la racine. Cela leur donne la faculté, non
seulement de prononcer et d'articuler tous les mots et toutes les syllabes qui
peuvent être en usage dans toutes les langues du monde mais encore d'imiter le
chant ou le cri de tous les oiseaux et de tous les animaux, en un mot tous les
sons imaginables. Ce qu'il y a de plus merveilleux est que le même homme
entretient deux personnes à la fois par le moyen de ses deux langues et leur
répond en même temps sur des matières très différentes sans se confondre. »
Enfin, Platon dans
le Cratyle évoque une langue du double sens et pense que le mot
reflète la chose qu'il représente. Il explique alors qu'entre les mots et les
choses existe une relation d’immédiateté.
Fulcanelli,
dans son ouvrage majeur Les Demeures Philosophales note :
« Employée
au Moyen Âge par les philosophes, les savants, les littérateurs, les
diplomates. Chevaliers d’ordre et chevaliers errants, troubadours, trouvères et
ménestrels […] discutaient entre eux dans la langue des dieux, dite encore
gaye-science ou gay-scavoir, notre cabale hermétique. Elle porte, d’ailleurs,
le nom et l’esprit de la Chevalerie, dont les ouvrages mystiques de Dante nous
ont révélé le véritable caractère. […] C’était la langue secrète
des cabaliers, cavaliers ou chevaliers. Initiés et intellectuels de
l’antiquité en avaient tous la connaissance. ».
Fulcanelli
pense que la langue des oiseaux doit son origine d'une certaine confrérie
chevaleresque passionnée d'occultisme, d'où leur nom de
« cabaliers », paronyme du mot « cavalier »
et homophone imparfait du mot « chevalier ».
Néanmoins
rien n'est dit sur sa nature, sinon cette
correspondance phonétique entre « cabalier » et
« chevalier ».
La
langue des oiseaux apparaît surtout à travers le système médiéval de codage
inventé par les trouvères et troubadours afin de faire
passer des messages qui déjouaient la censure des autorités, notamment
ecclésiastiques. De nos jours encore, les jeux de mots et surtout les
calembours sont des résidus populaires de cette langue poétique. Par
exemple le mot « maladie » pouvait contenir un sens codé : c’est
le « Mal qui dit » et cela pouvait renvoyer à une institution ou une
pratique visée.À l’inverse, la « Bénédiction », c’est « la Bonne
Diction » qui renvoyait peut être à l’art poétique. Autre exemple :
les expressions de « Bonne Heure » (= Bonheur) et de « Mauvaise
Heure » (= Malheur).
Le soufisme et la langue siryanîte
La
poésie mystique des soufis emploie souvent la langue des oiseaux
également, de la même manière qu’en Occident. Le poète soufi Farîd al-Dîn
Attâr - persan (aujourd'hui l'Iran) a vécu de 1119 à 1190 ; il
appartient à la tradition spirituelle Soufi de l’École d’al-Hallâd- dans son
ouvrage « La Conférence des Oiseaux » raconte
une épopée mystique ou 30 000 oiseaux sont à la recherche de
leur Roi.
Le
récit commence par un discours de bienvenue qui constitue une fonction rituelle
et magique de la "Huppe", un oiseau assimilé à la fonction
initiatique. Ces oiseaux représentent l’humanité des fidèles cherchant un sens
au monde.
La
huppe, figure du maître soufi, appelle les oiseaux à partir pour un voyage
difficile qui les conduira à la cour de leur Roi où ils rencontreront un oiseau
fabuleux, le Simurgh.
Certains
suivent la huppe, d’autres refusent, se contentant de leurs sorts terrestres.
Attâr fait ici une parabole de la quête initiatique soufie où
certains sont initiés car ils accèdent au sens profond des mots, d’autres s’y
refusent et restent dans un langage commun.
La
thèse d'Attâr est que les hommes comme les oiseaux ont des langues
différentes : aucun oiseau n’a le même chant que l’autre.Or, les initiés
partagent le même langage : le langage du bons sens et de la mystique.
Ahmed
Moubarek, dit 'Abd al-'Aziz al-Dabbagh, grand soufi illettré qui vécut à Fès à
la fin du XVIe et au début du XVIIe, dans
le Kitab-Al-Ibriz(traduction : le livre d'or pur), qui contient
l’enseignement de son maître cheikh Dabbagh, évoque l'existence d'une langue
originelle, employée par les anges et nommée langue siryanîte. Selon le
poète soufi marocain, elle existe dans chaque langue et consiste en un autre
sens que celui communiqué, le sens réel étant donné dans
sa prononciation et non dans son écriture.
C’est
également la langue des grands saints. D'après une légende islamique, il y a
des inscriptions en siryanî sur le tronc du ‘Arsh et sur la porte
du Paradis, qui ont également le pouvoir de parler aux défunts dans la
langue divine. Pour Ahmed Moubarek, le siryanî se trouve également dans les
« lettres isolées » qui ouvrent les sourates du Coran et
dont aucun théologien musulman n'a donné d'explication à ce jour, comme par
exemple « Alif - Lâm - Mîm » qui ouvrent la sourate 2 « la
Vache » (Al Baquara).
Les exégèses ont
été nombreuses ; pour Ar-Rabî‘ ibn Anas : « Ces lettres
proviennent des 29 lettres autour desquelles tournent toutes les
langues », et à chacune il y a une vocalisation. Pour Abdel ‘Azîz
ad-Dabbâgh par ailleurs : « À chaque lettre des lettres
siryânites, il y a un secret, et chaque secret se divise en sept autres
secrets. Ils naissent des significations divines des mots, qui est l’origine du
premier secret. À chaque lettre il y a sept autres secrets qui se rapportent à
la parole arabe. En ce qui concerne les langues non-arabes, d'autres secrets
s'y rapportent. ».
La calligraphie arabe
se veut en effet une mise en symbole de la Création divine. Enfin, à la fin
du XIVe, en Iran, Fazlullâh (fondateur de la religion
des Hurufiyya (de « huruf »=lettres), après un rêve
prophétique, entend et comprend le chant des oiseaux.
L'alchimie
La
science occulte de l’alchimie, provenant d’Égypte (Al-Chêmia en arabe
signifiant la "terre noire") a donné à la langue des oiseaux ses
lettres de noblesse. L'existence d'une langue secrète, dite « langue
alchimique », est avérée, notamment par les alchimistes.
Artéphius qui
sous-entend que cette langue codée est avant tout fondées sur
des métaphores :
« Ne sait-on pas que notre art est
un art cabalistique ? Je veux dire, qui ne se révèle que de bouche, et qui
est rempli de mystères ; Et toi, pauvre sot que tu es, serais-tu assez
simple pour croire que nous enseignons ouvertement et clairement le plus grand
et le plus important de tous les secrets, et pour prendre nos paroles à la
lettres ? »
Synésios (au ive siècle)
complète la révélation d'Artéphius en évoquant un code méthodique :
« Ils [les alchimistes] s'expriment
seulement par symboles, métaphores et images, afin de n'être compris que par
des saints, des sages, et des âmes douées d'intelligence. Ils ont, pour cette
raison, observé dans leurs œuvres une certaine méthode et une certaine règle,
de sorte que l'homme sensé pût comprendre et, peut-être après quelques tâtonnements,
parvenir à tout ce qui est secrètement décrit. »
Nicolas Flamel, célèbre alchimiste,
évoque un type de traités curieux dans son Livre des figures
hiéroglyphiques en 1612 :
« Il n'était point de papier ou de
parchemin, comme sont les autres, mais il était fait de déliées écorces de
tendres Arbrisseaux. Sa couverture était de cuivre bien délié, toute gravée de
lettres ou figures étranges ; et quant à moi je crois qu'elles pouvoient
bien être des caractères Grecs ou d'autre semblable Langue ancienne. Tant y a
que je ne les sçavois pas lire, et que je sçai bien qu'elles n'étaient point
notes ni lettres latines ou gauloises; car j'y entends un peu »
Cette
langue secrète -synonyme de « cabale » (avec un c pour
la différencier de la Kabale judaïque) consiste le plus souvent dans
l’utilisation de rébus ou de jeux de mots, dans l’objectif de
coder des œuvres interdites, via un code cryptographique fondé sur
les sons, afin d’en faire passer le contenu, soit comme incompréhensible, soit
comme d’un tout autre contenu. L’œuvre codée apparaît soit absurde, soit hors
sujet.
Ainsi
on a pu voir dans la phrase de Synésios une phrase parallèle recelant quelques
clés de cette langue : le passage "n'être compris que par des saints"
peut s'entendre : "n'être compris que par dessins ou
par desseins" par homonymie du mot
« saint » ; de même le passage : « secrètement
décrit » comme « secret te ment d'écrit », allusion au mensonge
de la phrase prise au pied de la lettre.
L’expression
apparaît comme une métaphore d’une certaine manière de porter son
regard sur les choses et événements qui appellent à faire fi de la logique de
raisonnement dans le sens des phrases. Certains auteurs occultes du Grand
Œuvre parlent également de la "cabale phonétique", méthode
identique jouant sur les correspondances phonétiques et sémantiques.
Les
sons en effet jouent un rôle prépondérant en alchimie. D’une part cette
science, à ses débuts, se faisait appeler « art de
musique ». Michel Maïer, auteur de Atalante Fugens, traité
alchimique de première ampleur, joint à ses textes
des fugues accompagnant les métamorphoses de l’Œuvre.
Cette
analogie est à mettre en parallèle avec la parole de Saint Paul dans le
chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens : « Quand
je parlerai les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas l'amour, je
suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit. ». Il y a donc une
constante analogie, dans chaque allusion à la langue secrète, à la musique.
La
« langue de l'extase », souvent employée de manière synonyme à celle
de langue des oiseaux est prétendue se manifester pendant la sortie de l'âme,
lors d'un contact temporaire avec le divin. Thomas de Celano pense que le
saint, pendant l'extase, croit entendre une musique très douce, d'une sonorité
semblable au français.
L'iconographie
alchimique, quand elle représente le laboratoire de l'alchimiste, montre
souvent des instruments de musique exprimant l'harmonie et la musique
céleste (venant de Platon : la « musique des sphères »)
accompagnant l'aboutissement du Grand Œuvre.
XIXe et XXe siècles
Grasset d'Orcet
Grasset
d'Orcet (1828-1900) étudie les traces des systèmes cryptographiques de la Grèce
archaïque. Fort de cette expérience il publie des articles sur la Langue des
Oiseaux parus dans la Revue Britannique. Ami de Fulcanelli, ayant eu
une puissante influence sur l'abbé Henri Boudet, Grasset d'Orcet va se
consacrer à l’étude des "Matériaux Cryptographiques" c’est-à-dire aux
règles de décodage des textes en langue des oiseaux. Il se focalise surtout sur
l’héraldique, autre science aux origines occultes usant du double langage. Les
devises hiéroglyphiques du blason obéissent en effet à des règles
permettant leur « lecture » (autre qu’iconique) :
1)
la devise se compose de vers de six à huit syllabes, terminées par une syllabe
où entre la lettre L,
2)
Tout dessin blasonné doit se déchiffrer en commençant par les pieds (de bas en
haut).
Fulcanelli
Fulcanelli,
dont la véritable identité demeure inconnue (on le suppose être Julien
Champagne), dans "les Demeures Philosophales", ouvrage d’alchimie
moderne où il montre que les maîtres spagyriques ont fixé dans la pierre
des cathédrales leur savoir ancestral, fut l'un des premiers à
révéler clairement le sens de la langue des oiseaux :
« Les vieux maîtres, dans la rédaction
de leurs traités, utilisèrent surtout la cabale hermétique, qu’ils appelaient
encore langue des oiseaux, des dieux, gaye science ou gay savoir. De cette
manière, ils purent dérober au vulgaire les principes de leur science, en les
enveloppant d’une couverture cabalistique. […] Mais ce qui est généralement
ignoré, c’est que l’idiome auquel les auteurs empruntèrent leurs termes est le
grec archaïque, langue mère d’après la pluralité des disciples d’Hermès. La
raison pour laquelle on ne s’aperçoit pas de l’intervention cabalistique tient
précisément dans ce fait que le français provient directement du grec. »
La
dimension cryptographique de cette langue est donc avérée selon lui ;
néanmoins, elle reposerait sur le grec ancien. Puis Fulcanelli va définir
la méthode fondant la langue des oiseaux comme étant phonétique :
« La langue des oiseaux est un
idiome phonétique basé uniquement sur l’assonance. On n’y tient donc aucun
compte de l’orthographe, dont la rigueur même sert de frein aux esprits curieux
[…]. »
Il
continue, insistant sur le double sens de cette langue :
« les anciens écrivains
l’appelaient langua general ("langue universelle"),
et lengua cortesana ("langue de cour"), c’est-à-dire langue
diplomatique, parce qu’elle recèle une double signification correspondant à une
double science, l’une apparente, l’autre profonde. »
Puis
il en fait la langue originelle de l’humanité, celle d’avant Babel :
« Les
rares auteurs qui ont parlé de la langue des oiseaux lui attribuent la première
place à l’origine des langues. Son antiquité remonterait à Adam, qui l’aurait
utilisée pour imposer, selon l’ordre de Dieu, les noms convenables, propres à
définir les caractéristiques des êtres et des choses créées. »
Les
symboles des cathédrales, témoignages de l’iconographie alchimique et
occultiste, sont souvent compréhensibles par le recours au rébus ou
par la lecture à haute voix. L’exemple que prend Fulcanelli à propos du cheval
ornant le mur sud de l’église de Saint-Grégoire-du-Vièvre, « et
dont le message se lit d’abord en rébus ou langue des chevaliers pour se
terminer en symboles, beaucoup moins évidents à comprendre. »
Le code
secret des Templiers
Pour
Fulcanelli, chaque nom alchimique contient, dans la langue des oiseaux, une
correspondance symbolique que la phonétique exprime :
l’antimoine par exemple fait référence à l’âne initiatique.
« Sachez
donc, frères, afin de ne plus errer, que notre terme d'antimoine... désigne,
par un jeu de mots familier aux philosophes, l'âne-timon, le guide qui conduit... ».
Dans Le
Mystère des cathédrales, l’art gothique est un langage lui-même
interprétable par la langue des oiseaux. Cette hypothèse, propre à Fulcanelli,
jamais évoquée au Moyen Âge nous permet d’étudier le fonctionnement
symbolique à l’œuvre dans la langue des oiseaux. Tout d’abord, phonétiquement
l’expression « art gothique », par raccourci : « art
goth » (prononcez [go]) est proche de celle d’
« argotique » ; il y a homophonie parfaite :
« Pour
nous, art gothique n’est qu’une déformation orthographique du mot argotique,
dont l’homophonie parfaite, conformément à la loi phonétique qui régit, dans
toutes les langues et sans tenir aucun compte de l’orthographe, la cabale
traditionnelle. La cathédrale est une œuvre d’art goth ou d’argot. Or, les dictionnaires
définissent l’argot comme étant un "langage particulier à tous les
individus qui ont intérêt à communiquer leurs pensées sans être compris de ceux
qui les entourent". C’est donc bien une cabale parlée. »
L’art
gothique renvoie à un langage codé donc. L’amplification symbolique peut
ensuite être proposée au moyen d’une seconde mise en correspondance
phonétique : « Les argotiers, ceux qui utilisent ce langage,
sont descendants hermétiques des argo-nautes, lesquels montaient le navire Argo
[...] pour conquérir la fameuse Toison d’Or. [...] Tous les Initiés
s’exprimaient en argot, aussi bien les truands de la Cour des Miracles, - le
poète Villon à leur tête,- que les Frimasons, ou francs-maçons du Moyen Âge,
"logeurs du bon Dieu", qui édifièrent les chefs-d'œuvre argotiques
que nous admirons aujourd’hui. »
Il
existerait donc une correspondance entre l’art gothique, le langage codé dit
argotique et le mythe des Argonautes, largement évoqué par les auteurs
alchimistes. Cette relation pourrait être synthétisée en une phrase reprenant
tous les termes : l’art gothique est un langage codé utilisé par un groupe
d’initiés à cette langue et recherchant la Toison d'or (sous-entendu,
par métaphore : la Pierre Philosophale).
La
destination spirituelle de cet art est renforcée par la racine grecque de
l’adjectif « gothique » :
« L’art
gothique est, en effet, l’art got ou cot (Co en grec), l’art de la Lumière ou
de l’Esprit. »
Par
ailleurs, les lettres elles-mêmes renverraient à un sens caché ; un auteur
alchimique inconnu, Cyliani, signe son traité Hermès
dévoilé : Ci, ce qui indique la conjonction du principe féminin
figuré par le croissant du C avec l' i rouge, mâle, la plus
petite des lettres et la plus proche du point central et créateur. Le nom de
Cyliani, nom d'emprunt, renferme une correspondance avec le nom
de Cyllène, montagne natale d'Hermès ; ani enfin est le
"je" hébreu. "Cyliani" signifierait donc "Moi, la
montagne d'Hermès".
La
langue des oiseaux peut se décliner enfin jusqu’à l’étude de la lettre et de sa
forme, le O symbolisant la totalité universelle, la perfection (le
cercle), et le C l’éclair de lumière enflammant le cosmos.
Le père Boudet
Le
père Boudet, curé de Rennes-les-Bains, écrit en 1886 La Vraie Langue
celtique, ouvrage fondé sur les jeux de mots anglais (« pun » en
anglais) ; il y tente de dévoiler la dimension internationale et sociale
de la langue des oiseaux. Il s’intéresse surtout aux langues puniques
(africaines), demeurées les plus primitives pour lui. Il en fait ainsi remonter
l’usage d’avant Babel (comme Fulcanelli dont il est influencé)
« Les
exemples cités sont assez nombreux pour montrer dans la langue punique une
dérivation parfaite du langage qui a précédé Babel. »
Boudet
rapproche (toujours dans une démarche d’amplification phonético-symbolique) le
nom Babel de l’anglais « Babble » qui signifie
« babiller » (parler comme un enfant) ; par extension, il
envisage que cette proximité signifie que la langue des oiseaux est à l’image
du babillage : un langage paradoxal que l’on entend mais ne comprend
pas, sauf les initiés.
Par
ailleurs, le mot, pour Boudet, recèle tout le savoir ancestral d’un phénomène,
comme une condensation d’expériences :
« les
mots nouveaux n’ont plus la même simplicité ; ils expriment par
l’association des termes primitifs, des propositions tantôt figurées, tantôt
relatant un fait historique et réel. »
La
langue kabyle, parmi celles puniques, est celle la plus révélatrice de la
coexistence actuelle de la langue des oiseaux ; par ailleurs, la
dénomination de « punique » elle-même identifie la nature de ces
langues qui détiennent encore le code symbolique :
« En
examinant de près le langage actuel des Kabyles, on s’assurera qu’il est fait
de jeux de mots et par conséquent le seul punique – to pun (peun) faire des
jeux de mots. »
Il
existe en effet dans cette langue, gardée intacte, une architecture de renvois
et de correspondances : « Ces combinaisons nouvelles sont aussi
faciles à observer dans la langue Kabyle [...], celle-ci les reproduit dans une
plus grande pureté et permet de saisir, pour ainsi dire au passage, des pensées
de grande pureté, des pensées philosophiques surprenantes, des peintures de
mœurs qui ne laissent rien à désirer. »
Boudet
aime même à croire que le rapprochement phonétique Kabyle / Cabale (autre
nom de l’art des alchimistes, à distinguer de l’homonyme Kabale, qui est
l’exégèse judaïque) est significatif. Rappelons que l’on nomme également la
langue des oiseaux :
« Cabale
des philosophes » (des alchimistes, synonyme de philosophe au Moyen Âge)
René Guénon
Métaphysicien
majeur de la première moitié du xxe siècle René Guénon,
dans Symboles de la Science sacrée pense que la langue des oiseaux
regroupe les formules et incantations ésotériques fondamentales. Il considère
qu’elle est la métaphore de la communication de l’humain avec les
« êtres supérieurs » que sont les anges : « les
oiseaux sont pris fréquemment comme symbole des anges, c’est-à-dire précisément
des états supérieurs ». Il montre que c’est dans la tradition islamique
qu’apparaît la langue des oiseaux, avec la figure de Salomon :
« Et
Salomon fut l’héritier de David ; et il dit : O hommes ! nous
avons été instruits du langage des oiseaux [‘ullimna mantiqat-tayri] et comblés
de toutes choses »
Le
terme « aç-çāffāt » est considéré comme désignant
littéralement les oiseaux, mais comme s’appliquant symboliquement
aux anges (al-malā’ikah) par proximité phonétique.
La
langue des oiseaux serait donc une expression pour désigner la langue des
anges. (Guénon cite notamment l’étude sur le symbolisme de l’« oiseau de
paradis » de M. L. Charbonneau-Lassay fondée sur une sculpture où cet
oiseau est figuré avec seulement une tête et des ailes, forme sous laquelle
sont souvent représentés les anges).
Pour
Guénon, cette langue est avant tout fondée sur le rythme universel, sur
le vers et la poésie.
La
tradition islamique considère d’ailleurs » qu’Adam, dans
le Paradis terrestre, parlait en vers, c’est-à-dire en langage
rythmé ; il s’agit ici de cette langue syriaque ».
La poésie,
même moderne aurait ainsi gardé cette part mystique, primordiale, ce qui
explique que tous les textes sacrés soient écrits en vers.
Un système de codage occulte
Depuis
le 13 octobre 1307 et l’arrestation des templiers sur ordre du roi de
France Philippe le Bel, la langue des constructeurs de cathédrales devient
interdite car suspecte et entre donc dans la clandestinité. Elle devient un
système de cryptage plus ou moins intuitif car basé sur la phonétique et
la proximité de sens des mots ; à l’inverse des autres systèmes, davantage
mathématiques, mettant en œuvre des clés et des tables de correspondances,
comme le célèbre code « Enigma » de
la Seconde Guerre mondiale par exemple.
La
langue des oiseaux demeure un système de codage dans lequel ne préexiste pas, à
proprement parler de méthode écrite, de clé de décryptage en somme.
Il
faut ici la distinguer des autres langues secrètes, tribales et ethniques
notamment (du domaine de l'ethnologie, comme la langue des Dogons, étudiée
par Michel Leiris ou comme le « machaj juyai » qui est
encore parlé par quelques familles de médecins herboristes traditionnels, les
Kallawaya, qui vivent dans les Andes boliviennes) et des jargons et argots régionaux
ou sectoriels (de métiers) comme l'Argot des nomades en Basse-Bretagne (la
langue secrète des couvreurs, chiffonniers et mendiants) ou des langages
créés ad hoc, comme le Polari, langue des homosexuels.
La
langue des oiseaux demeure un système de codage dans lequel ne préexiste pas, à
proprement parler de méthode écrite, de clé de décryptage en somme.
Ce
système se forme en définitive sur quelques principes simples, qui peuvent
constituer les clés, même si elles ne sont jamais fixées par écrit, ce qui en
fait une cryptographie :
les
mots et les phrases homonymes. Quand on utilise la langue des oiseaux, on
peut découvrir dans certaines expressions anciennes d'autres expressions tout à
fait différentes, aux sens différents :
Par
exemple les mots : "silence" (= "si lance"),
"larme" (= "l'arme"), "mots" (=
"maux"), "François" (="franc avec soi"),
"mer" (="mère"), "métamorphose" (="mets ta
mort et ose"), etc.
Il
s’agit là d’un système assez rudimentaire pour faire passer des informations
via des textes : poèmes, traités alchimiques etc…, de la même façon que,
pendant la Résistance française, les hommes « de l’armée des
ombres » ont communiqué les plans de sabotage de l’armée allemande via des
poèmes de la littérature française, poèmes codés.
Les
images et analogies : certains sens codés ne sont compréhensibles
qu'en usant de métaphores et analogies, sans quoi le terme figuré ne
peut permettre d'interpréter le message.
La
langue des oiseaux fonctionne sur le registre de la spontanéité et de la
compréhension.
La
cryptographie, ou « écriture chiffrée », est de trois types (d'après
l'entrée "cryptographie" du Dictionnaire des langues
imaginaires) : 1) substitution de chaque lettre, syllabe mot ou phrase par
des lettres, chiffres ou mots différents selon un code 2) transposition :
les lettres du texte, en clair, sont déplacées selon une clé 3) mixte. Des
auteurs ont su employer des codes cryptographiques
tels Goethe, Pouchkine, John Wallis, Francis Bacon.
Pour
certains auteurs, la langue des oiseaux tiendrait davantage à la glossolalie ou
langue des prophètes: CG Jung pense qu'« il est possible que
l'étrangeté et l'extériorité des contenus inconscients qui n'ont pas encore été
intégrés dans la conscience exigent un langage qui soit, lui aussi
étranger ».
Néanmoins
cet état de fait n'enlève rien à l'originalité de la langue des oiseaux, qui,
bien qu'inconscient dans son aspect glossolalique, n'en demeure pas moins
"motivée".
L'entrée langue
glossolalique du Dictionnaire des langues imaginaires pose que
la glossolalie emploie trois mécanismes linguistiques qui en font un langage
sensé : la répétition, la réduplication et le balbutiement.
Le tarot de Marseille et la langue des
oiseaux
Lame du pendu, Tarot de Paris
Le tarot
de Marseille, méthode de divination médiévale obéissant à la transmission orale
(on ne l’apprend que par initiation), semble fonctionner sur les possibilités
de la langue des oiseaux, que ce soit par les anagrammes,
les rébus ou l’homonymie.
Les
initiés du tarot ont l’habitude de résumer son but par l’expression :
" le tarot contient de 22 lames ses leçons".
Si on y applique le
principe de la langue des oiseaux, on peut entendre (et non plus lire):
« le tarot qu'on tient, devin de lames, c'est le son », sorte
de maxime élucidant la méthode à l’œuvre dans cette méthode de
divination.
Néanmoins,
ce sont les images qui sont surtout à décrypter dans le tarot de
Marseille.
Ces Arcanes semblent
tous contenir, par l’image ou le texte, un sens double, caché. La
« lame » intitulée Tempérance renvoie en effet à l’expression
développée : "Temps errance", qui correspond dans
l’astrologie aux sources du tarot à l’ère du Verseau, figure qui apparaît
sur la même Arcane.
Par
ailleurs, les oiseaux ne sont pas absents des dessins du tarot. En effet,
quatre « lames » mettent en scène les volatiles. Ces apparitions sont
pour certains un code en soi permettant l’utilisation de la langue des oiseaux,
nécessaire à la pleine compréhension des arcanes.
La
lame dite de la Papesse (2e arcane), paraphrasée en " lame air
du Tarot " semble contenir l’idée même de la langue des oiseaux comme
seule clé de compréhension du tarot ; on peut en effet la faire
correspondre à l’expression homophonique : " la mère du tarot ".
Le symbole de l’air (domaine des oiseaux) comme source d'inspiration serait un
signe conseillant de lire le tarot de Marseille avec le son.
Cette
correspondance fait écho à la symbolique alchimique de l’air comme univers du
« volatile » (par opposition au "fixe"), du secret
dissimulé qu’il faut rendre visible (terrestre) par l’Œuvre.
On
peut également voir dans le nom de « tarot » une correspondance avec
la forme phonétique « taraud » renvoyant au verbe
« tarauder », qui signifie creuser, percer une matière dure, et qui
s’emploie aussi dans une acception figurée (cette question me taraude par
exemple). Le tarot serait en somme un art du « creusement du sens ».
De même, chaque arcane peut également correspondre phonétiquement à un autre
sens que son nom inscrit sur la carte, désignant au final des étapes dans l’initiation :
« le Bas te leurre » (Bateleur), « l'air mythe » (Ermite),
« Temps errance » (Tempérance), « L'âme est son Dieu » (La
Maison-Dieu). Néanmoins, les significations appartenant à ceux ayant créé ce
code, la langue des oiseaux nous permet de dresser des correspondances de sons,
mais elle ne nous permet pas d’accéder au sens premier, sinon
par analogie.
À
noter que beaucoup de séminaires et de « coaching » interviennent sur
le tarot et ses correspondances en langue des oiseaux.
Langue
des oiseaux et psychologie
Les jeux de mots : fenêtre sur
l’inconscient
Pour
la psychanalyse, l’inconscient utilise un langage codé permettant
d’exprimer un sens dit "latent".Jacques Lacan, notamment, a
démontré que sous les jeux de mots s'exprime l'inconscient qui choisit de
passer des messages, suivant son expression selon
laquelle « l’inconscient est structuré comme un langage ».
Néanmoins, le complexe psychique va faire correspondre des états, symbolisés
par des mots, agglomérés par leur proximité phonétique.
L’analyse
doit pour Lacan se fonder sur la détermination de ces correspondances
phonétiques et symboliques afin de « dénouer effectivement ce en quoi
le symptôme consiste, à savoir un nœuds de signifiants ».
Sigmund
Freud déjà affirmait que « c’est par la langue que l’essentiel se
révèle » (il emploie le mot allemand de "zurückführen",
littéralement "conduire en arrière", soit ramener la langue vers
son fondement). Dans La Science des rêves, Freud parle
du rêve comme d'un rébus qui s'entend au pied de la lettre;
un rébus formé des lettres comme signifiant graphiques et des
sons comme signifiants phoniques ajoute Lacan.
Pour
Lacan, en effet, le signifiant prime sur le signifié, via un jeu
constant entre ces deux réalités, au moyen des « lois du langage de
l'inconscient »: la métonymie et la métaphore. La
première "rend compte du déplacement dans
l’inconscient" alors que la seconde "rend compte de la
condensation dans l’inconscient".
Néanmoins, Jacques
Lacan, s'il pose l'hypothèse de l'inconscient comme un langage, ne repère
pas la dimension phonique de celui-ci. Expliquant que « l’inconscient
ne connaît que les éléments du signifiant (...) [étant] une chaîne de
signifiants qui se répète et insiste », il précise qu'il opère
cependant « sans tenir compte du signifié ou des limites acoustiques
des syllabes ».
Au
final, Lacan a su montrer que psychiquement « Le mot n’est pas signe
mais nœud de signification », que l'analyse doit dénouer. Il refuse par
ailleurs qu'il puisse exister dans l'inconscient, dans le domaine du
prélangage, une signification de la lettre en elle-même, ce qui forme le
fondement de la langue des oiseaux : « Si toute séquence
signifiante est une séquence de lettres, en revanche, toute séquence de lettres
n'est pas une séquence signifiante ». Avec Lacan,
la psychanalyse se refuse à explorer les jeux de mots et les
phénomènes des champs sémantiques et phonétiques.
Le rêve « parle » la langue
des oiseaux
Le
sens des mots dans les rêves est exploré la première fois par le
psychiatre Carl Gustav Jung qui, en fondant la mythanalyse, pose
que « Si abstrait qu’il soit, un système philosophique ne représente
donc, dans ses moyens et ses fins, qu’une combinaison ingénieuse de sons
primitifs ». Le mot, en plus d'avoir un sens abstrait est chargé émotionnellement.
Etienne
Perrot, continuateur de Jung, fait de la langue des oiseaux et des jeux de
sonorités une capacité du rêve d'exprimer de manière parallèle une réalité
psychique :
« Cette synchronicité, ces
écoutes extérieures et intérieures, ces doubles lectures, nous les apprenons
donc d'abord dans les rêves. Les rêves nous apprennent à décrypter la réalité.
Les rêves, c'est bien connu, prennent très souvent des matériaux de la vie
diurne, mais c'est pour nous apprendre à les lire autrement_ Cette lecture
renferme un élément très important, qui est le décryptage des mots suivant des
lois qui ne sont pas des lois causales, mais des lois phonétiques, suivant le
mode de formation des calembours. C'est ce qu'on appelle "la langue des
oiseaux", et c'est cela, d'une façon précise, ce que les alchimistes
appelaient " la gaie science »
Il
justifie le double sens phonétique des textes alchimiques par cette
citation de l'auteur ésotérique Michel Maïer qui explique:
« À propos de tout ce que tu
entends, raisonne pour savoir s'il peut en être ainsi ou non. Nul en effet
n'est incité à croire ou à accomplir des choses impossibles, car les mots (des
livres hermétiques) existent à cause des choses et non les choses à cause des
mots »
Perrot
reconnaît au rêve une certaine motivation, indépendante de la conscience,
un certain humour qui transparaît par la langue des oiseaux. En
déstructurant le mot, par les sonorités qu'il contient, le rêve (l'inconscient
en somme) donne à entendre un autre sens. Perrot voit dans le
mot onirique une capacité à se « dilater » par une mise en
correspondance de symboles.
Il
y voit également une correspondance constante avec la musique de
l'alchimie dans laquelle « toute cuisson s'accompagne d'une
musique : un four gronde, un feu crépite, l'eau sur le
feu chante et, si l'on y plonge un métal porté au rouge,
il siffle ».
Cette
capacité du rêve à générer des sens à plusieurs niveaux correspond à
la règle d'interprétation alchimique obscurum per obscurius qui prône
l'explication, paradoxale, de ce qui est obscur par ce qui est plus obscur
encore. Il s'agit bien du contenu latent du rêve, qui tend à se symboliser par
la condensation, proche des koans et des haï kaï zens.
Par
exemple, un rêve évoquant un « parchemin », contre toute logique,
pourraît s'interpréter par l'expression « par le chemin » suivant la
langue des oiseaux, expression qui renvoie aux symboles de liberté, d'ouverture
d'esprit, de développement personnel.
En latin,
un romain rêvant d'un livre (« liber ») aboutirait à la
même conclusion : "liber" renvoie également à liberté ; et
cette racine a été conservée en français.
Des
personnages, par leurs patronymes, peuvent ainsi correspondre à des
symboles. Le nom de Pierre par exemple, dans un rêve, renvoie non à une
personne réelle ou historique (l'apôtre) mais à la pierre au sens d'autel ou
de Pierre Philosophale.
Pour
Jung, l'existence de ce double langage prouve la continuité des symboles
alchimiques dans le psychisme contemporain.
Rêver
d'un « sceau » au sens de clé renverrait ainsi au « scel »,
mot d'ancien français désignant le « sel », composé alchimique, et
fonction psychique régulatrice.
Par
ailleurs, l'étymologie demeure dans le rêve, en dépit de la culture du
rêveur. Elle semble encore signifiante, comme si elle stratifiait dans
l'inconscient tous les sens d'un mot, et toute son
évolution linguistique.
Le
mot « laboratoire » par exemple, en rêve, continue à contenir les
deux sens de « laborare » (travailler) lui-même provenant du verbe
latin « orare » (prier). En somme, le rêveur pourrait être appelé à
« travailler sur sa conscience spirituelle » en voyant lors
d'un songe un laboratoire.
Pour
Perrot et les psychologues analytiques, en effet, l'inconscient
"connaît" l'étymologie et joue avec. Par exemple, rêver de
"graisse" renvoie à sa racine latine: adeps qui évoque
le substantif "adepte", celui entré en possession de
la Pierre Philosophale. De même, "Luxembourg" renvoie à la
"ville de lumière" (lux en latin), la forteresse du Soi.
Les jeux
de mots sont également à la source d'interprétation des rêves, et en
premier lieu les anagrammes et calembours, combinés au savoir
inconscient de l'étymologie. Rêver d'un « gnome » par exemple
pointerait vers la racine grecque « gnomon » qui désigne l'être surnaturel synonyme
de nain et qui est l'anagramme de "mon gon".
L'expression
de « mon gond » (rendue intelligible, décodée, en graphie
conventionnelle) pourrait alors mettre en lumière le côté fermé, clos, du
rêveur face à un problème, et la nécessité pour lui de s'ouvrir au monde. Les
phases de la transformation spirituelle intérieure sont en effet, dans toutes
les cultures, symbolisées par des seuils de porte ou des dispositifs
d'ouverture (les rêves de maisons sont significatifs : de là, rêver de
"restaurant" peut inclure le sens de "restauration"
psychique, de reconstruction personnelle). Les jeux de mots sonores sont
souvent très évidents : rêver de "corbeau" peut évoquer le
"corps beau", c'est-à-dire le corps qu'une personne complexée doit
apprendre à respecter notamment.
Assez
proche de la numérologie, l'interprétation de lettres entendues ou vues
dans un rêve peut recevoir un éclairage particulier grâce à la langue des
oiseaux. Rêver de la lettre « M » pourrait signifier phonétiquement
« aime » alors que, inversement rêver de la lettre « N »
correspondrait au concept de « haine ». Plus symboliquement, les noms
pourraient renfermer dans leur structure l'essence des choses qu'ils désignent.
Perrot donne l'exemple du "merle" alchimique qui peut s'expliquer
ainsi :
« le vase hermétique (athanor) est
la mère de la Pierre. "Merle" est formé de "mère"
où est venu se ficher en quelque sorte le l, verticale symbolisant la
foudre divine, le feu du sacrifice qui pénètre la substance terrestre et la
consacre à la divinité. Le merle est donc l'athanor allumé et
sanctifié par le feu du ciel »
Etienne
Perrot considère également que le double sens est appréhendable également
par le recours à la kabbale qui utilise la permutation des lettres.
Par exemple, la lettre aleph est l'Esprit.
Enfin,
le double sens peut être levé facilement, par une lecture au premier
degré : rêver de l'expression d' « antimoine », sans se référer
au composé alchimique, devenu archaïque de nos jours, peut signifier
simplement: « anti-moine »: se méfier des clercs, de la religion par
exemple ; le prénom "Renée" signifie "re-naît".
Néanmoins, Jung comme Perrot, insistent sur la nécessité, pour interpréter
efficacement ce double sens, de comprendre la situation du rêveur, ainsi que
son langage personnel, sans quoi les interprétations ne seraient que
fantaisistes ou trop analysées.
Cependant,
Perrot ne cherche pas l'interprétation systématique : « le seul plan qui nous intéresse est
celui des analogies signifiantes de la langue des oiseaux »
Niveaux d'interprétation
« (..)
la Langue des Oiseaux ne peut s’apprendre avec les Sens, la mémorisation. Elle
ne se laisse pas dévoiler non plus avec la logique limitée du connu actuel. Le
mot, la lettre, sont des « koans » déployant, et basés sur, une logique
plus logique que la logique officielle! » : Yves Monin dans
son livre Hiéroglyphes Français et Langue des Oiseaux pointe là un
autre niveau d'interprétation de la langue des oiseaux correspondant à
la symbolique graphique et non plus phonétique.
En
somme la lettre, sa forme en elle-même et dans le mot, combinée avec le
sens du mot, recevrait une signification souvent cosmogonique ou ésotérique.
Monin
remarque à ce propos que le mot « O.I.s.E.A.U » a la particularité de
faire appel à toutes les voyelles.
Or,
pour les kabalistes, les voyelles sont les lettres du fondement de la création
(voir ci-après pour l'explication), comme si en soi il résumait l'essence du
cosmos, de là une hypothèse de l'origine de l'expression « langue des
oiseaux », non en référence aux volatiles mais au fait qu'elle prend part
au plan gnostique.